Sonia Ristić – Un squat comme un microcosme, un laboratoire effervescent de vie et de création. Librement inspiré du "Théâtre de Verre" à Paris, "Saisons en friche", troisième roman de l'écrivaine Sonia Ristić publié aux éditions Intervalles, décrit les femmes et les hommes venus d'horizons divers qui s'y côtoient, tentent d'être artistes de diverses manières et de développer un monde différent, en rupture avec la société contemporaine qui nous entoure tout en ne parvenant pas à échapper totalement à ses contraintes, bien sûr.
Vie et mort d'un squat et de ceux qui le peuplent, au gré de quatre saisons qui sont les quatre parties d'un roman qui s'étend entre 2010 et 2011: tout se passe dans une gare désaffectée de Paris, investie en toute discrétion, par effraction, par une poignée de gens jeunes qui viennent d'être chassés d'un autre abri précaire. Les combines sont évoquées: comment s'assurer d'avoir du courant en se branchant sur le réseau du voisin, comment avoir Internet, comment ne pas être délogé illico par le propriétaire des lieux ou par la mairie. Cela, afin de créer. Les vicissitudes d'une vie associative sont aussi décrites, non sans tendresse: assemblées foutraques sans fin, plans de travail non respectés, amours, débats pour savoir s'il faut aussi accueillir des sans-papiers au squat...
L'auteure dessine dès lors les portraits tranchés de toute une série d'artistes les plus divers: Nieves qui veut devenir actrice, Lana l'écrivaine en devenir qui veut à tout prix faire plaisir tout en jonglant avec ses inquiétudes, Vladimir et ses grandes installations (le bien nommé: étymologiquement, son prénom signifie "Maître du monde", et de fait, il se positionne en leader grâce à son expérience). Il y a aussi Malo, qui se redécouvre une vocation de dessinateur de bandes dessinées alors qu'il exerce les fonctions de videur pour gagner sa vie, en tandem avec son ami Alexandre. Tout le monde, en effet, oscille entre l'impératif de créer et celui de faire bouillir la marmite.
S'ils sont entre deux métiers, les personnages principaux de "Saisons en friche" sont aussi entre deux âges, littéralement, se demandant souvent ce que signifie être adulte. C'est souvent avoir: avoir un appartement plutôt que vivre dans un squat, avoir un sofa ou un lave-linge. C'est aussi avoir "une maison, un cheval, un chien. Et aussi une épouse.", à l'instar de Leo, musicien de rock arrivé, éternel absent et amant d'Alice, jeune femme qui peint les pages de ce roman avec les couleurs plus ou moins vives qui sortent de sa vie et de son pinceau. Enfin, plus d'un personnage est aussi entre deux pays, l'un étant la France, qui n'est pas toujours facile à vivre, par exemple si l'on pense aux rapports qu'entretient la Portègne Nieves avec les hommes français, qu'elle trouve plus compliqués que les Argentins.
La romancière excelle à montrer ses personnages en action afin de leur donner une épaisseur, et aussi à pénétrer leurs âmes, leurs pensées. On pense au raisonnement qui taraude Malo l'Africain qui reçoit du papier et des couleurs en cadeau de Lana l'Américaine juive, ce qui lui donne l'impression d'être manipulé comme un ancien colonisé, incité par la bande à se remettre au dessin. En parlant de Malo, l'auteure exploite une autre astuce: elle donne à ce personnage l'habitude de donner des surnoms à celles et ceux qui l'entourent, par exemple Jivago pour Alexandre, BB pour Clémence la danseuse ou Catherine Deneuve pour Lana, permettant au lecteur de poser sur eux un visage, une posture sans avoir à parcourir de longues descriptions.
Enfin, l'écrivaine fait revenir dans "Saisons en friche" les trois personnages, amis indissociables, qui ont fait les belles pages de "Des fleurs dans le vent". C'est d'abord Douma qui apparaît, puis au fil des pages, les voilà qui prennent progressivement une place immense. On les retrouve avec bonheur, Douma aux premières loges, JC en arrière-plan et Summer à Berlin, où elle tente de trouver un emploi pour Douma. C'est que l'entraide, la solidarité sur fond de débrouille traversent aussi "Saisons en friche", non sans débats parfois, non sans un regard amusé, légèrement décalé et détaché, surtout en fin de récit, sur certaines situations et tumultes qui sont le lot de la vie en collectif artistique.
Sonia Ristić, Saisons en friche, Paris, Editions Intervalles, 2020.
Lu par Bertrand Guillot, Emmanuelle Caminade, Yves Mabon.
Il est mort mais il vit encore ! ^
RépondreSupprimer… sans doute sous une autre forme! :-)
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