Philippe Lamon – C'est grinçant souvent, c'est drôle toujours, c'est vachard parfois: avec "Le Casting", Philippe Lamon signe le roman satirique des jeunes familles romandes, et au-delà sans doute, de ce début de vingt et unième siècle. Cela, en utilisant comme fil rouge un concours de photographies d'enfants en bas âge, dont on se demande s'il n'est pas spécialement organisé pour faire mousser des parents narcissiques.
L'effet hilarant résulte de la concentration des situations que vivent les jeunes parents d'aujourd'hui sur deux couples à la fois différents et fort semblables en définitive, radiographies d'une façon bien différenciée. Il y a donc Many et Sylvain, parents de l'adorable Zia, si sage, qui a tout de suite fait ses nuits, et de l'autre Florent (le père super investi, ça fiche des complexes) et Maude, parents de Chloé la peste, qui ne fait pas ses nuits et se montre violente plus souvent qu'à son tour. Il y a là de quoi analyser les manières d'éduquer (faut-il dire "non" ou "stop" à son enfant quand il s'apprête à faire une bêtise?), les attitudes, de questionner même la répartition des tâches en famille.
Et si en théorie, il n'y a pas de compétitions entre parents, dans la pratique, l'écrivain exacerbe cette idée que pour ses parents, leur enfant est forcément le meilleur, le plus craquant. Bien entendu, il y a le concours, dont la finale a lieu à la Foire du Valais: en somme, une forme de Miss Baby Suisse romande qui ne dit pas son nom et peut être vu comme dérisoire. L'auteur tape juste: alors que sans doute, les enfants vivent cela avec l'air absent de la fillette qui orne la photo de couverture, les parents vivent la compétition comme si leur vie en dépendait. Et si officiellement, l'idée est surtout de faire un truc sympa, la concurrence fait rage et c'est surtout l'ego des parents qui est en jeu. Hypocrisie du truc...
Ainsi s'effritent les amitiés, ainsi les amours sont mises en péril. On se trouve ainsi avec Sylvain qui, peu intéressé par le concours, dragouille une cliente de sa librairie. Elle s'avère lesbienne – on le sentait venir, avouons-le. De l'autre côté, Maude retrouve un ex, Brice, ce qui rallume des feux mal éteints. Les réseaux sociaux favorisent le rapprochement. Et puis, l'histoire familiale tourmentée de Many l'Asiatique refait surface. Quant à la compétition, chacun se positionne à sa façon face à ce qui est devenu une obsession pour laquelle tous les coups sont permis, y compris piquer le doudou de la fille de l'autre pour la déstabiliser.
Réseaux sociaux? On le sait, et l'auteur le rappelle justement, ils sont une façon pour les familles de mettre en scène, à l'attention du monde qui s'en fout (mais on a Facebook, on est moderne!), leur vie ordinaire en famille: ennuis de santé, bisbilles, rien n'est épargné au lecteur, qui assiste à la chasse aux "likes" pas forcément placés à propos. On l'a dit: le concours de beauté est un fil rouge, un prétexte pour aborder tout ce qui fait le sel généreusement dosé de la vie des jeunes parents. Alors que les enfants devraient y être au top, ce concours de beauté souligne le côté aléatoire de la chose: on n'est jamais à l'abri d'une mauvaise fièvre, d'une dent qui pousse de travers ou du refus obstiné de la fillette de porter la jolie robe chère qu'on a choisie pour elle.
Roman sur les équilibres familiaux, "Le Casting" met en scène, sur un ton pince-sans-rire qui s'avère jubilatoire, des parents surinvestis mais pas toujours de façon efficace, à la fois touchants et risibles, anonymes désireux d'être des vedettes par procuration en exploitant l'aspect forcément craquant et adorable de leur marmaille. Gageons que plus d'un jeune parent se reconnaîtra à un moment ou un autre dans ce livre rythmé qui décape la moindre et ne loupe aucun des défis du métier acrobatique de parent d'aujourd'hui.
Philippe Lamon, Le Casting, Genève, Cousu Mouche, 2019.
Lu par Francis Richard.
Le site des éditions Cousu Mouche.
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