Stéphanie Glassey – "J'ai tué quelqu'un". Cette première phrase, lourde de sens, annonce ce que recèle le premier roman de Stéphanie Glassey, "Confidences assassines": les secrets peuvent semer la mort, pour préserver un équilibre basé sur le non-dit. Ce secret, l'écrivaine l'étudie avec une implacable précision à l'échelle d'un village, en faisant de constants allers et retours entre le passé et le présent. Deux temps extrêmement différents.
Voilà en effet qu'une équipe de personnages décide d'en savoir plus sur le décès apparemment criminel d'une pensionnaire d'un établissement médico-social situé du côté de Nendaz, suivi du suicide d'une employée, principale suspecte. Piste d'exploration: curieusement, la pensionnaire défunte, Juliette, épicière du village et réceptacle de tous les ragots, a commencé à retrouver la mémoire à la suite d'une stimulation en atelier. De quoi réveiller des rancoeurs: l'oubli a de ces vertus...
Trois personnes mènent l'enquête: une journaliste passionnée par les tueurs en série, l'animatrice de l'atelier de stimulation de la mémoire et Léon, un enseignant alcoolique, ancien policier cloué sur une chaise roulante. Les moyens dont ils disposent sont ceux de simples civils. L'auteure excelle dès lors à dépeindre le mur de silence qui s'oppose à eux: documents disparus, personnages soudain mutiques, bizarreries mises au jour. Avec pertinence, elle évoque aussi l'enquête policière, bâclée: dès lors, le trio apparaît comme un chercheur de vérités alternatives.
L'écrivaine fait aussi dialoguer le passé et le présent, les deux époques semblant se rapprocher à mesure que, d'une part, le temps passé se rapproche du temps présent et que, d'autre part, les enquêteurs d'occasion progressent. C'est là qu'intervient la famille Devênes, et en particulier Adèle, fille sauvage, née d'une mère mise au ban de la population du village en des temps de mœurs rigides. L'auteur dresse un portrait peu flatteur des hommes qui l'entourent, violeurs, alcooliques, narquois et dominateurs parce que c'est comme ça.
Dès lors, l'existence d'Adèle va prendre les allures d'une coûteuse revanche sur fond d'hypergamie: rendue à Zurich pour faire sa vie à la suite d'un amour de jeunesse et prouver à celui-ci qu'elle est arrivée, elle accepte d'épouser son patron, personnage torturé qui pourrait être un homosexuel refoulé. Pénible dans un premier temps, sa vie maritale va lui servir pour prouver, à un moment de sa vie, qu'elle a réussi mieux que tout le monde à Nendaz – "elle se donne des airs", pourrait-on dire dès lors. Le retour d'Adèle à Nendaz, avec son mari, repose lui-même sur un misérable tas de secrets: une transaction qui a tout d'une arnaque, orchestrée par Hermann, le fils indigne d'Adèle, pour racheter une source, alors que son père, qui s'est enrichi dans l'armement, cherche à se refaire une virginité, à se laver dans une eau de pureté supérieure pourrait-on dire, après avoir pactisé avec les nazis. La source d'eau minérale exploitée par les Hammerstein s'appelle ÔdesMonts; on ne peut s'empêcher de lire "Ô Démon"!
Les références littéraires sont omniprésentes dans "Confidences assassines". En appelant Aline la principale suspecte de son roman, la romancière évoque librement l'"Aline" de Charles-Ferdinand Ramuz, dont la destinée a quelque parenté avec celle d'Adèle. De façon savoureuse, Léon aime déclamer des vers de Racine, qui tombent de façon pertinente dans ses répliques. Quant au nom de Hammerstein, que la romancière donne à un collaborateur suisse du régime nazi, il est piquant de relever qu'il est aussi celui d'un général allemand opposé au nazisme, Kurt von Hammerstein, évoqué par Hans Magnus Enzensberger dans "Hammerstein ou l'intransigeance".
Il est aussi permis de voir dans le personnage de Léon la figure de l'écrivain qui aimerait bien publier et faire connaître son œuvre au monde. Généalogiste appelle à publier son travail, il n'est pas tout à fait écrivain, mais il partage avec tout homme ou femme de plume un rôle de révélateur. Quant à son handicap, il peut faire penser aux "ailes de géant" qui empêchent l'Albatros de Baudelaire de marcher sur la terre des hommes.
Quant au style, il s'avère copieux, non exempt de longueurs certes si l'on pense en particulier à certaines répliques, mais magnétique à coup sûr. Il a ses belles trouvailles, comme ces dialogues en italique qui suggèrent qu'on ne se parle pas, que les mots, si odieux qu'ils soient, n'ont pas besoin d'être prononcés – en particulier lorsque Raphi Hammerstein s'exprime. Autre particularité: l'auteure recourt au patois valaisan pour dire des choses souvent dures. Enfin, on relève quelques clins d'œil: dans le contexte italianisant de l'évocation du personnage d'Eva Manzini, il sera question de "grissini", à l'italienne, plutôt que de gressins.
Avec "Confidences assassines", un premier roman foisonnant dont la mémoire est le fil conducteur, l'auteure dissèque avec virtuosité le jeu implacable des secrets de famille et des histoires de village, pétries de rognes et de loyautés, avec tout ce qu'il peut avoir de pesant, voire de mortel, dans ses implications. Elle pose ainsi une question: vaut-il la peine de réveiller des mémoires enfouies? De plus, elle explore d'autres temps, ceux d'un Valais rural demeuré longtemps archaïque, sévère et taiseux. Cela, autour d'un trio de personnages hauts en couleur qu'elle a travaillés à l'envi et dont l'enquête promène les soupçons sur plus d'un personnage du livre, cruellement mis à nu au fil des découvertes les plus glaçantes.
Stéphanie Glassey, Confidences assassines, Lausanne, Plaisir de lire, 2019.
Le site des éditions Plaisir de lire.
Je en connais pas mais ça pourrait bien me plaire, je me le note ;)
RépondreSupprimerC'est un roman plutôt long, mais indéniablement réussi, avec le soin du détail. Essaie!
SupprimerSans doute te faudra-t-il le commander directement sur le site de l'éditeur: http://www.plaisirdelire.ch .
Je suis toujours preneuse de littérature suisse, bien sûr. Je note; merci.
RépondreSupprimerAvec plaisir! :-) Je t'en souhaite une bonne découverte.
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