mardi 28 mai 2019

Les seize ans d'Emma, aspirante pom-pom girl, dans l'Illinois

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Laure Mi Hyun Croset – L'Amérique encore... après Cendrine Bertani et "A la frontière", c'est Laure Mi Hyun Croset qui embarque son lectorat en voyage de l'autre côté de la Grande Gouille. "Pop-Corn Girl" raconte, à la manière rapide d'un micro-roman, les débuts d'une adolescence suisse nommée Emma, étudiante d'échange, dans une high school de l'Illinois. Des débuts qui sont un choc des cultures. En effet, on peut croire que les Etats-Unis, c'est la même chose qu'ici. Oui, sauf que c'est pas pareil! Et comme il se doit, c'est en avion qu'Emma approche le Nouveau Continent.


Les moments de vie se succèdent dans "Pop-Corn Girl", et ils sont autant d'occasions d'illustrer des arts de vivre différents de part et d'autre de l'Atlantique. On les a déjà vues çà et là, ces occasions: manière de manger, manie de prendre sa voiture pour faire deux cents mètres, obésité endémique, rituels et pop-corn au cinéma, vie dans de vastes conurbations où chacun se méfie de son voisin. Le regard de l'auteur se fait délicieusement ironique en montrant ces éléments, et avec elle, on a envie de se lécher les doigts après un petit déjeuner un peu trop gras et copieux; et l'on s'amuse de la description d'un chien promené dans une ambiance de combat. La tonalité US est encore rehaussée par des titres de chapitres en anglais et de multiples références au cinéma hollywoodien.

La description de la vie scolaire recèle un surcroît d'intérêt en ce sens qu'elle montre les mille hiérarchies plus ou moins affichées de la société américaine. Le communautarisme racial induit par exemple un classement qui est fonction de la couleur de peau et favorise une forme d'entre-soi. Il y a aussi les choses cool à faire, les jeux de séduction, et tout ce qui peut vous faire remonter au classement – cela, vu par une jeune fille qui découvre qu'on se maquille outrancièrement, par exemple, pour séduire celui que l'on vise pour une soirée. Au top, se trouvent les cheerleaders, dont l'auteure décrit l'art avec une exactitude un brin gênante, puisqu'elle en accentue le côté savamment exhibitionniste: revoilà la figure du lecteur voyeur malgré lui! Reste que cela fait rêver notre Emma...

... une Emma naïve et ébahie d'abord, tiraillée entre deux tendances contraires: celle de se distinguer et celle de s'intégrer. Appartenir à un groupe, si possible choisi, est normal à l'adolescence; mais d'un autre côté, il convient de se distinguer pour, ah... perdre ce fameux pucelage qui devient encombrant! Emma aimerait être remarquée par le capitaine de Jeff le beau sportif, mais elle se contentera du Laotien qui l'aime bien, Kye. Mais ce n'est que partie remise: "Emma était déçue mais, pragmatique, elle considéra cette première expérience comme le début d'un long apprentissage qui saurait lui gagner les faveurs de Jeff", finit l'ouvrage. Kye a-t-il été utilisé? Poser la question, c'est y répondre. Et c'est ainsi, pour paraphraser Jean de La Fontaine, que l'esprit vient aux filles... 

Au travers de Jeff le beau sportif qui compte, mais aussi d'autres éléments, l'écrivaine met en avant le leitmotiv du culte du corps, inattendu mais tout à fait cohérent dans le contexte américain qu'elle décrit. Dans un récit savamment distancé, dosant finement son ironie, elle met en avant l'idée que les corps, plus que les esprits, contribuent à la popularité dans un lycée américain: les corps parfaits des cheerleaders sont magnifiés, les filles cool se maquillent, et les gars soignent les apparences et les manières aussi. Cela trouve une résonance dans les examens sous forme de questionnaires à choix multiples, où il s'agit de deviner la bonne réponse davantage que de savoir vraiment: encore un jeu d'apparences, qui ne compte guère cependant dans la comédie humaine dépeinte au fil des 71 pages de ce micro-roman.

C'est dans ce petit monde à l'état d'esprit surprenant qu'Emma, fille a priori anonyme comme le suggère son prénom trop fréquent, entend trouver sa place. Ballottée entre des parents d'accueil improbables (un époux maigrichon comme le petit vieux dans "Benny Hill" et une épouse obèse, cela prête à sourire) et messalisants et une école qui a ses rituels, Emma promène ses lecteurs dans un monde qui, à plus d'un titre, a tout l'air d'une autre planète. Un monde qui n'est pourtant qu'à un océan de distance...

Laure Mi Hyun Croset, Pop-Corn Girl, Lausanne, BSN Press, 2019.



Le site de Laure Mi Hyun Croset, celui des éditions BSN Press.

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