Marc-Edouard Nabe – On dirait que ça balance pas mal à Paris! Après avoir été diariste, Marc-Edouard Nabe s'est lancé dans la rédaction de ses souvenirs. Cela donne "Les Porcs", ou plutôt le premier des tomes à porter ce titre. La période couverte va de l'année 1999 jusqu'à la possibilité du Renaudot pour "L'homme qui arrêta d'écrire" en 2010. Faisant feu de tout bois dans une veine résolument pamphlétaire, l'écrivain anti-édité dégomme tout ce qui bouge sur 1002 pages portées par une verve satirique rare. Ce premier volume est sous-titré "La paix (toute relative)"; Dieu sait ce que sera la suite.
En fil rouge de cet imposant ouvrage, il y a la dénonciation du conspirationnisme, que l'auteur voit émerger entre autres avec la lecture que Thierry Meyssan fait des attentats du 11-Septembre. Des attentats qui ont réjoui Marc-Edouard Nabe, qui a dédié "Les Porcs 1" à ses auteurs: l'écrivain tient à ce que le "mérite" de cette action soit justement attribué. Ce ne sont pas les idées de tout le monde; l'écrivain assume par ailleurs son antisionisme rigide (culminant dans un tract virulent retranscrit au chapitre 106), ainsi que d'être antisémite à sa manière. Cela étant dit, et précisant avec insistance que tout cela me paraît détestable, voyons ce que le livre a dans le ventre.
En véritable mémoire d'une décennie, l'auteur en restitue un portrait détaillé au vitriol. Il embarque son lectorat dans les coulisses de la télévision, notamment, et en démonte les rouages pas toujours honnêtes: montages mensongers des émissions en différé, duels et alliances contre nature entre invités, commentaires pas toujours obligeants: "J'ai été trop sympa", commence l'auteur, et le ton est donné. Sans doute l'auteur a-t-il visionné à nouveau certaines émissions. On se retrouve ainsi régulièrement face à Frédéric Taddéï, dessiné sans concession: l'écrivain reconnaît ses qualités lorsqu'elles sont là, mais n'hésite pas à dégainer lorsqu'il estime que c'est nécessaire. Comme il le fait pour certains "bons numéros" de la télévision, tels que Yann Moix, Houria Bouteldja (pour qui l'écrivain semble avoir une certaine tendresse), Alain Soral ou Dieudonné.
Ceux-ci sont les personnages récurrents du roman, et l'auteur ne les gâte guère: décrivant les spectacles successifs du comique devenu politique (c'est un peu long...), il en dénonce l'affaiblissement et la dérive. Alain Soral, quant à lui, décrit en poltron, il en prend franchement pour son grade. Autour de ces deux personnages, l'auteur recrée entre autres la pitoyable épopée du Parti Antisioniste. Un parti sans vrai programme, auquel Marc-Edouard Nabe, jaloux de sa liberté, se garde bien de s'encarter malgré l'insistance de ses responsables.
Parallèlement au monde des célébrités qui passent à la télé, Marc-Edouard Nabe décrit aussi son entourage proche, en particulier le tandem Salim Laïbi-Yves Loffredo. De quasi-anonymes, fans déclarés, qui sont des compagnons de route de l'écrivain, se chargeant de travaux de mise en page ou d'édition. A travers eux, c'est toute la période des "tracts" de Nabe qui est évoquée, puis le choix fait par l'écrivain de s'auto-éditer (ce qu'il appelle l'anti-édition). Eux non plus, l'écrivain ne les gâte guère. Ce qui lui a valu quelques procès.
C'est que l'auteur, en observateur ricanant de son époque, n'y va pas de main morte. "Les Porcs 1" est porté par une verve jubilatoire et par l'insolente liberté que l'écrivain, dégagé de toute contrainte résultant de la collaboration avec un éditeur installé, s'octroie. Il s'exprime sans filtre, osant les termes les plus vigoureux et faisant un usage immodéré de la formule cinglante. Le lecteur qui a déjà entendu Marc-Edouard Nabe en vrai jurerait entendre sa voix au fil des pages. On rit, mais – comme lorsqu'on lit "L'Enculé" – on n'en est pas forcément fier, par exemple lorsque l'auteur des "Porcs 1" rhabille Calixthe Beyala, empêtrée dans des affaires de plagiat.
"Les Porcs 1" s'avère une lecture copieuse, longue parfois, amusante souvent, vigoureuse toujours. C'est l'œuvre d'un auteur manifestement passionné, à fond dans tout ce qu'il fait, au caractère entier. Plus que les opinions régulièrement déplaisantes que l'auteur professe et assume en toute franchise, et qui suscitent un malaise certain, c'est le plaisir du verbe cash et flamboyant qu'il faut chercher (et qu'on va trouver!) dans "Les Porcs".
Marc-Edouard Nabe, Les Porcs 1, Paris, anti-édition, 2017.
Le site de l'auteur.
Lu par Tilly Bayard-Richard.
1000 pages qui se lisent comme un rien.
RépondreSupprimerCela se lit très bien, en effet; mais avec les impressions mêlées que j'évoque.
Supprimermerci pour le lien Daniel :)
RépondreSupprimeril pêche gentiment par omission puisque oui, j'ai lu Les Porcs, mais non, je ne les ai pas chroniqués :(
merci pour cette bonne note de lecture
Avec plaisir, Tilly!
SupprimerC'est un plaisir de placer un lien, même si le livre est simplement cité, avec quelques impressions. Aurons-nous une chronique de ta main?
Salutations et à bientôt!