mercredi 24 avril 2019

Entre accomplissement de soi et thriller, navigation sur la tête des cadavres qui hantent le Léman

Sommet.
Gilles de Montmollin – Les eaux froides et profondes du Léman recèlent leurs lots de lourds secrets, tout comme les maisons à clochetons de Chavannes-près-Renens. "Le sommet de la pyramide", roman de Gilles de Montmollin, tente avec un succès certain de faire le joint entre l'ambiance thriller et la volonté d'accomplissement de soi qui mobilise tout être humain. C'est en effet à la bien connue pyramide de Maslow, et en particulier à son tout dernier étage, que le titre du roman fait référence. Mais voilà: les niveaux de base doivent être assurés, ce qui n'est pas forcément garanti, même lorsqu'on a une vie apparemment tranquille et couronnée de succès.


On reconnaît en Giacomo Ferrari un personnage typique des hommes qui hantent les romans de Gilles de Montmollin: sûr de lui, doué, aimant les belles mécaniques (rien d'étonnant quand on s'appelle Ferrari, bel exemple d'aptonyme!), les beaux gréements et les femmes – qui le lui rendent plus ou moins bien. Avec lui, le romancier revisite le type de l'Italien au sang chaud, capable de casser la figure à l'amant de sa femme, quitte à ce que ça déplaise à cette dernière. Cette exploration est aussi un approfondissement de ce qui aurait pu passer pour un stéréotype: le lecteur découvre avec Giacomo un quadragénaire en quête de sens pour sa vie. Une quête qui passe par une reconversion professionnelle certes un peu forcée.

Cette reconversion permet à l'auteur de dessiner sur un ton réaliste les contours d'une ONG spécialisée dans les questions environnementales. Naturellement, l'écrivain y fait passer quelques-unes de ses inquiétudes, qu'on retrouvera plus tard dans "La fille qui n'aimait pas la foule" (2014). La vision des enjeux environnementaux est, soit dit en passant, celle du moment de l'écriture du roman, soit la première décennie du vingt et unième siècle: il y est question de biocarburants et de bons de compensation des émissions de CO2, vus comme de modernes indulgences: des droits de polluer, en somme.

Cependant, l'intérêt est ailleurs: il réside dans l'exploration des dessous pas très reluisants de cette organisation, nommée "Lynx" et logée dans un bâtiment qui pourrait être celui qui abritait naguère l'IDHEAP. "Lynx", c'est un nom à double tranchant, déjà: c'est un animal sympathique aux yeux des écologistes, mais qui occasionne aussi son lot de dégâts si on le laisse agir dans un biotope où il se sent trop facilement chez lui. Certes un peu tardivement dans un roman qui débute sur une intrigue initiatique, c'est par le biais des hommes et des femmes qui font fonctionner "Lynx" que l'ambiance se tend, passe du presque feel-good au thriller. Un thriller où l'on parle de blanchiment d'argent, pour la bonne cause certes (la belle excuse!), mais aussi de morts.

Et de beaux gréements, bien sûr! L'auteur n'a pas son pareil pour décrire de façon réaliste les embarcations à voile, avec une tendresse particulière pour les voiliers anciens en bois. Sa description de l'ambiance du Bol d'Or s'avère un beau moment de lecture, empreint de suspens lorsqu'un bateau erre tout seul... ou que la brume ou la nuit vient troubler la régate. Familier des histoires de navigation en haute mer, l'auteur ne déçoit pas lorsqu'il évoque le Léman.

Comme il se doit chez Gilles de Montmollin, l'intrigue est parsemée de femmes charmeuses et vénéneuses. Giacomo Ferrari devra y trouver son compte, remettre en question ce qui, peut-être, est toute sa vie. Son épouse, par exemple, est-elle vraiment la femme de sa vie? Il peut certes compter sur sa fille comme soutien moral, mais qu'en est-il de sa collègue Lutta, et de Coralie, la comptable plus fine qu'il n'y paraît? Toutes sont belles à leur manière, mais l'auteur leur confère des caractères qui vont interagir de façon diverse avec Giacomo Ferrari. Mensonge et hypocrisie, appât du gain, mais aussi possibilité d'un amour sincère, filial ou non, l'auteur suggère que derrière ou devant tout homme, il y a au moins une femme, à considérer avant tout comme un être humain, avec ses qualités et ses défauts.

"Le sommet de la pyramide" fonctionne donc sur deux ressorts. Il y a celui de la tentative d'accomplissement de soi, pour commencer, avec la reconversion plus ou moins de circonstance d'un personnage à la cause écologique. Il est permis de croire que l'auteur passe au ton du polar à un moment où il laisse l'impression que la piste de la quête de sens s'épuise. Mais ce n'est qu'une apparence: au terme de péripéties de thriller qui apparaissent comme une parenthèse dans la vie d'un homme soudain amené à déterrer ses secrets et à tuer des gens (et à se chercher quelques excuses pour le faire), "Le sommet de la pyramide" indique qu'il est difficile d'accéder au dernier étage de la pyramide de Maslow, comme il est dur de conquérir les monts des Alpes bernoises. Et pour finir, il ouvre la porte à l'idée qu'un moment d'amour, un baiser partagé valent autant, sinon plus, que la conquête d'inaccessibles sommets.

Gilles de Montmollin, Le sommet de la pyramide, Sainte-Croix, Mon village, 2010.

Le site de Gilles de Montmollin, celui des éditions Mon Village.

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