Gilbert Pingeon – C'est une montagne qu'on escalade. "On"? Non! Bien jaloux, le narrateur de "La montagne sourde" se sent propriétaire d'un mont, s'inscrivant en faux avec l'idée que "les montagnes sont à tout le monde". C'est un peu raide, comme qui dirait! Reste que "La montagne sourde", dernier opus de l'écrivain suisse Gilbert Pingeon, invite ses auteurs à faire le tour d'un mont ordinaire a priori, sans nom, mais pas sans surnom. La balade est courte (139 pages), mais dense.
C'est que "la montagne sourde", surnommée "la Sourde" parfois en raccourci, est ainsi nommée parce que le narrateur ne l'entend guère, du moins par les mots. Ce qui n'empêche pas les échanges, par exemple une gentiane cueillie contre un caillou niché dans la chaussure. L'auteur va jusqu'à imaginer des dialogues courts comme des échanges de ping-pong en début d'ouvrage. Résultat: chacun campe sur ses positions. Match nul!
Reste que les manières d'appréhender cette montagne pas si banale que ça peuvent différer. De la façon la plus fugace, cela prend la forme du chapitre "Points de vue", qui décline la vision de la montagne à la façon d'un mème. Ailleurs, il est question d'un chien (le chapitre "Vision canine"), ou alors tout simplement d'un narrateur qui avance en âge et se souvient de son attrait pour les montagnes, né dans ses plus jeunes années.
Une constante: l'approche est poétique. Plus que d'autres, certains chapitres le suggèrent en arborant les apparences du vers. La vision peut même être sentimentale. Dès lors, l'auteur dessine avec sensibilité les relations d'amour-haine qui peuvent naître entre un randonneur et la montagne, à la fois adulée parce que tellement transcendante. Jaloux? La montagne l'est peut-être, mais le narrateur aussi, dans la dynamique d'une relation intime, pour ainsi dire amoureuse, qui doit aussi faire la part des caractères qui se frottent. Un vieux couple? Il y a de ça. Des éclats? Aussi.
Ce lien privilégié, marqué par une ambiance de confrontation, laisse le narrateur voir ce que la montagne lui offre en termes de beautés naturelles et surhumaines au gré du détour d'un sentier. Cette beauté est une invitation à une transcendance qui rejette résolument les monothéismes mais se branche volontiers sur une dynamique païenne, et pas seulement dans le chapitre "Bacchanale", mettant en scène une orgie que l'auteur fait doucement chauffer au gré d'une ascension.
Ecrivain suisse, Gilbert Pingeon était pour ainsi dire prédestiné à écrire sur le thème des montagnes et des relations qu'un homme entretient avec elles. Construisant cette relation à la manière d'un lien amoureux jaloux qui n'exclut cependant pas les ruptures qui finissent par rapprocher, l'auteur dessine le fil d'une relation particulière et atypique qui vient de loin. Et comment rendre cela? Avec pertinence, l'écrivain choisit de la jouer courte, ce qui confère à chacun des brefs chapitres de "La montagne sourde" une ambiance de prose poétique, travaillée avec une pointe d'humour. Comme quoi, même si la montagne est sourde, on peut s'entendre...
Gilbert Pingeon, La montagne sourde, Vevey, L'Aire, 2019.
Le site des éditions de l'Aire.
Lu par Jonas Follonier.
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