mardi 9 avril 2019

Baader et sa bande, version fribourgeoise: peut-on y croire?

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Jacques Fasel – Le canton de Fribourg a eu sa bande à Baader, surnommée "La bande à Fasel". Quelques décennies plus tard, Jacques Fasel et les siens ont droit à leur page Wikipedia. Quant à Jacques Fasel, il a légué un témoignage de vie, sous la forme de centaines de pages dont les éditions d'En Bas ont publié quelques bonnes feuilles sous le titre "Droit de révolte" – un livre paru pour la première fois en 1987, et réédité tout dernièrement. Celui-ci pourra être complété par le témoignage de son compagnon de route, Daniel Bloch; mais voyons d'abord ce que Jacques Fasel, surnommé le "Robin des Bolzes", a à raconter.


Lecteur de Jean Ziegler ou de Narcisse Praz, Jacques Fasel s'inscrit, en verbe sinon en actes, dans la mouvance anarchiste. "Droit de révolte" en témoigne: il en émane un rejet affirmé de la société telle qu'elle est organisée dans le dernier tiers du vingtième siècle, considérée comme violente. Une approche séduisante a priori: oui, il y a des bavures policières, parfois encouragées par des victimes qui préfèrent courber l'échine. Oui, le capitalisme a ses violences, entre autres à l'encontre des pauvres d'ici et d'ailleurs. Oui, la société dont nous sommes toutes et tous prisonniers est largement perfectible et a besoin de toutes les bonnes volontés pour ce faire.

Mais, et c'est là que ça se gâte, l'auteur oublie opportunément l'idée que le principe de l'état de droit (ce truc qui fonde la société) repose sur le transfert à l'Etat du monopole de la violence légitime. Il estime donc que sa propre violence est tout aussi légitime, même si en théorie, il est contre: tirer sur un policier (et donc avoir une arme sur soi lorsqu'on va dans un bistrot parisien), voler ou arnaquer les gens. 

Le surnom de "Robin des Bolzes" suggère aux générations d'aujourd'hui que Jacques Fasel a pris de l'argent aux riches pour le redonner aux pauvres. Or, si l'on en croit "Droit de révolte", il n'en est rien. Les vols qu'il évoque sont celui de la banque de l'Etat de Fribourg (dans une ambiance "gentleman-cambrioleur" assez tendance, on croirait un Sulak de périphérie), qui paraît viser un enrichissement personnel sur le dos du capital, et celui de Micarna, abattoir de Courtepin, programmé précisément le jour où arrive l'argent des salaires. Cet argent des salaires, Jacques Fasel paraît le destiner à lui, à sa bande et à eux seuls. Le petit personnel de l'abattoir qui devra attendre sa paie? Il n'a pas une pensée pour lui, il préfère regretter qu'il n'y ait pas un million, mais "seulement" quatre cent mille francs suisses de butin.

Du coup, l'image que renvoie "Droit de révolte" n'est pas celle d'un héraut de la redistribution, mais celle d'un pauvre autoproclamé qui va se servir où il sait sans se préoccuper du préjudice engendré. Et qui, pour se justifier, récupère sans vergogne la doxa anarchiste. Cela, avec des arguments à la mécanique rebattue: affirmer que la violence qu'il exerce à titre personnel n'est rien face à la violence sociale, et se poser en victime de la société et de ses gardiens – c'est sur cette base que se construit le chapitre "Violence". "Je suis une gentille crevure"? Tels sont les mots que Jacques Fasel adressait tout dernièrement au journal "La Liberté" (article payant). Ils sont pour le moins sujets à caution, et une lettre de lecteur ulcérée en a témoigné. 

Quant à adopter la posture du révolutionnaire, euh... Nous avons plutôt affaire à un homme à l'écriture certes sincère, qui a appris la vie sur les routes, entre l'Espagne et la France – et c'est cet apprentissage que relatent les pages les moins pénibles de "Droit de révolte". Alors oui: lorsque Jacques Fasel s'émerveille d'avoir réussi un beurre blanc, lorsqu'il troque une bouteille de bourgogne fatigué (l'arnaque, déjà...) contre un repas dans un bistrot de France périphérique, on sourit. Lorsque l'auteur, abonné des prisons de Suisse, évoque l'épreuve de l'isolement, on ne demande pas mieux que d'être emphatique, parce que bien sûr, la zonzon, ce n'est pas une partie de plaisir. Mais non: ça ne marche pas. Peut-être parce que, toujours si l'on en croit les pages de "Droit de révolte" (après tout, on n'a pas ce que l'éditeur n'a pas publié...), l'écrivain, tour à tour poète, prosateur ou imprécateur, oublie qu'on n'est qu'on n'est qu'un révolutionnaire de carton si ce que l'on vole ne sert qu'à régaler la bande qui rigole, et que ceux qui n'en sont pas doivent se contenter des grandes théories. 

Jacques Fasel, Droit de révolte, Lausanne, Editions d'En Bas, 1987/2019. Note de Michel Glardon, éditeur.

Le site des éditions d'En Bas.

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