lundi 10 juillet 2017

Rachel Vanier, des start-uppers à la chasse aux licornes

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Le site et le blog de l'auteure, celui de l'éditeur - merci pour l'envoi!

"Ecosystème", c'est tout un programme! Après l'excellent "Hôtel International", la romancière Rachel Vanier offre à ses lecteurs un nouveau projet de voyage, cependant d'une trempe très différente. Loin du Cambodge, "Ecosystème" oscille en effet entre Paris et San Francisco. Mais surtout, c'est d'une expédition dans le monde des start-up, relatée avec une précision hallucinante, qu'il s'agit. 

Ecosystème donc: un tel titre suggère immanquablement une dynamique d'interactions qui surviennent dans un monde clos; c'est ainsi, d'ailleurs, que l'auteure présente le microcosme des start-uppers, développeurs de produits tournant en vase clos, pas forcément intéressés aux clients qu'ils pourraient toucher: c'est un autre écosystème! Cela, à moins de pouvoir en tirer de l'argent, ou des choses plus chimériques: des "likes", des partages, des articles dans la presse numérique spécialisée. Ce que l'auteure donne à voir, en somme, c'est un biotope fait de pixels. Mais aussi un monde qu'animent des êtres humains...

Le lecteur suit ainsi Marianne et Lucas, un duo d'entrepreneurs que tout rapproche, contrairement aux apparences: l'auteure réussit avec eux l'alliance des contraires. On trouve ainsi une Marianne expressive et fantasque, qui mène sa barque en qualité de copropriétaire d'une start-up avec Lucas. A travers elle, en sus, le lecteur est sensibilisé au statut d'une femme dans un monde vu comme masculin, entre brimades et privilèges (en particulier par le biais du personnage de Charlotte, qui tempère une approche qui aurait pu paraître trop brutalement féministe). Marianne, c'est aussi la femme qui se comporte comme un mec dans un monde de mecs: elle masque ses sentiments, s'interdit de pleurer, refuse d'admettre ses faiblesses. 

Face à elle, Lucas joue le rôle du bonhomme introverti, qui ne trouve son bonheur que lorsqu'il pond des lignes de code. Et il se passe un truc formidable: alors que Marianne, tout au long du roman, est en proie aux doutes, Lucas gagne en confiance en lui, et va même jusqu'à trouver le moyen de séduire et de tomber amoureux. Une part féminine qui s'exprime chez le programmeur archétype du geek? Il est permis de voir les choses ainsi, et de noter que l'évolution des deux personnages qui mènent l'intrigue est diamétralement opposée. 

Et puis, la vision de San Francisco, entre désenchantement brutal ou subtil et émerveillement puéril, participe de ce grand écart entre ces deux personnages.

"Ecosystème", c'est aussi la question du sens de ce que l'on fait lorsqu'on est start-upper. Et là, la romancière s'avère suprêmement astucieuse... Le lecteur, en effet, ne sait jamais quel est vraiment le produit, l'application que Marianne et Lucas développent et commercialisent, avec le soutien aléatoire de coaches et de business angels. Il a ainsi l'impression, tout au long du roman, que ces deux personnages se démènent pour des chimères. En somme, ils courent après des licornes, au double sens du terme: une licorne est à la fois un animal mythique... et une grosse start-up autosuffisante qui, sans cotation en Bourse, a su rendre riche celui qui l'a lancée. Dans les deux cas, c'est un rêve... Du coup, le lecteur s'interroge: après quoi ces deux-là courent-ils? L'argent, la gloire, l'envie de changer le monde avec du vent? La réponse est loin d'être évidente. Et il est permis de penser que start-upper, finalement, ce n'est pas si différent des "métiers à la con" (bullshit jobs) évoqués par l'anthropologue anarchiste David Graeber.

Naturellement, un roman tel qu'"Ecosystème" ne saurait se concevoir sans un style particulier. L'auteure excelle à composer une musique adéquate. Celle-ci est rapide et nerveuse, et exploite jusqu'à la caricature le jargon de l'entreprise en général, et des start-up en particulier, avec ses anglicismes parsemés jusqu'aux limites de l'incantatoire, quitte à ce qu'on n'y comprenne plus rien par instants - mais les personnages qui les prononcent les comprennent-ils mieux? Cela peut paraître agaçant, soit parce que l'on ne supporte pas les anglicismes (dommage, en l'espèce!), soit - et c'est bien là qu'est le meilleur - parce qu'on est bien obligé de constater, avec un brin d'envie, que l'écrivaine, en osant exploiter à fond les ressorts du lexique des petites entreprises du Net, a parfaitement trouvé la bonne harmonie. Le génie en plus. 

Rachel Vanier, Ecosystème, Paris, Intervalles, 2017.

4 commentaires:

  1. Je suis d'accord, le fait que le produit de leur start-up ne soit jamais décrit ou nommé contribue de façon très fine à la démonstration. Un très bon bouquin !

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  2. Cela m'a paru important en effet! Et j'ai passé aussi un très bon moment avec ce livre. Avez-vous aussi lu son précédent opus, "Hôtel International"?

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    1. Non mais je crois que je vais réparer cette lacune dès que possible :-)

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    2. Cela en vaut la peine! Même si le décor sera très différent... Je vous en souhaite une excellente découverte!

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