Lu par Atasi, Joël, Joyeux Drille, Julia Germillon, Lauraline.
Le site de l'éditeur, le site de l'auteure.
"Nomen est omen", dit la sagesse ancienne. C'est ce que semble dire aussi "Sensorium", cinquième roman de l'écrivaine indienne Abha Dawesar. Dès les premières pages de ce livre atypique, en effet, l'auteure nomme son personnage Durga et, ce faisant, lui donne un destin, par l'entremise de prêtres hindous. Et artiste, elle devra expier une faute dont elle ignore tout et qui remonte à l'une de ses vies précédentes. Peu à peu, une intrigue s'installe...
Native de l'Inde moderne, devenue artiste, Durga a l'esprit cartésien et professe un certain rejet des superstitions et de la religion - celle-ci étant souvent montrée comme un ensemble de rituels et de croyances dont l'exigence masque la vacuité. Il n'empêche: il n'est pas évident d'en sortir. Plutôt que de rejeter l'idée d'expier, en particulier, Durga va intégrer cette démarche à une œuvre d'art, tout en ayant quelques scrupules à prendre des libertés avec le prêtre (qui s'est payé au passage, d'ailleurs).
Foi et raison: dans "Sensorium", le choc est constant. Cela, d'autant plus que l'auteure lorgne vers les arcanes des sciences en général, et des neurosciences en particulier, aussi troublants que ceux de la religion. C'est là qu'apparaît l'une des originalités de ce roman: l'intégration d'éléments de texte sous forme d'encadrés, volontiers théoriques, venant éclairer les vicissitudes de la vie d'artiste que mène Durga. Ces éléments, composés dans une police de caractères distincte du reste du livre, prennent parfois même la forme d'éléments narratifs, comme si, sur quelques pages, deux intrigues couraient en parallèle autour de Durga. Pour le côté expérimental d'une telle manière de raconter, on peut penser à "Séquoïadrome" d'Emilie Notéris, ou, mieux, aux notes de bas de page labyrinthiques de David Foster Wallace.
Et comme si tout cela ne suffisait pas, la beauté de ce livre est encore renforcée par des dessins, plus ou moins présents au gré des pages. Schémas sommaires, ils complètent ou illustrent le texte. Et ils ont tout à fait leur place ici, Durga étant justement active dans les arts visuels. C'est comme si la narratrice voulait ajouter son propre art aux mots - des mots qui sont ceux de tout le monde, simples et directs.
"Sensorium" est un texte qui jongle avec de grands thèmes comme les arts, les sciences, la religion, le destin, les légendes, mais aussi la vie ici-bas, avec ses contraintes les plus prosaïques. Cela, non sans porosité: partant de l'idée astrologique de l'année du rat, l'auteure exploite le thème sur le plan de la raison comme de la religion. Et de l'Inde à New York en passant par les Flandres, c'est un monde que le lecteur découvre - peut-être la fuite d'un déterminisme national? Pas de crainte cependant: décliné en chapitres et séquences courts, "Sensorium" est un roman rapide, jamais pesant, et que l'on lit avec bonheur.
Abha Dawesar, Sensorium, Paris, Héloïse d'Ormesson, 2012. Traduit de l'anglais (Inde) par Laurence Videloup.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Allez-y, lâchez-vous!