Laurent Gaudé – Il est devenu rare aujourd'hui, le souffle épique qui traverse "La mort du roi Tsongor", qui compte parmi les premiers romans de l'écrivain Laurent Gaudé. Il était grand temps que je m'y mette! Il y a beaucoup de guerre dans ce roman, beaucoup d'humanité aussi, placés dans l'ambiance sobre d'un conte qui sait aller à l'essentiel et connaît la mécanique inexorable qui pilote les humains.
On a pu dire de ce roman que son cadre était africain. Pas faux! Mais c'est un peu réducteur. Au fil de son intrigue, l'auteur emprunte aux rites d'ici et d'ailleurs, conférant par exemple aux rituels funéraires les actes typiques de la religion romaine. L'auteur sait cependant brouiller les pistes: les noms de ses personnages ne renvoient à aucune tradition marquée: il est permis par exemple de se demander d'où viennent des noms tels que Tsongor ou Sango Kerim. Et sans savoir pourquoi, peut-être parce que j'ai pensé aux grands empires du Moyen-Orient, j'ai aussi songé que tout se passait en Asie centrale, peut-être dans une Babylone biblique revisitée.
Quant à l'intrigue, elle sait se souvenir du temps de l'Iliade, celui où l'on faisait la guerre, si tragique qu'elle soit, pour l'essentiel: une femme. Ici, elle s'appelle Samilia. Longtemps, elle joue le jeu d'un système où elle se retrouve prisonnière, impuissante peu à peu face à des factions qui oublient qu'elles se battent pour elle. Sa sortie du jeu a un prix, celui de l'émancipation, enfin: renoncer au statut que lui offre le fait d'être fille du prestigieux roi Tsongor, disputée par deux hommes dès la mort de son père. Et à tout ce qui va avec. Riche de sa vie seule, c'est-à-dire pauvre dans un monde d'hommes, c'est sur les chemins qu'elle s'accomplit, vivant de peu, mais vivante parce qu'il ne reste plus que cela: certains auraient voulu son suicide.
Sur le mode de l'épopée, dans une intrigue tragique qui suggère que tout le monde souffre alors que personne n'est vraiment responsable, "La mort du roi Tsongor" relate un monde où tout n'est que guerre. Tout commence par celles que le roi Tsongor, de son vivant, à faites face à des pays et provinces de plus en plus lointains, jusqu'au bout du monde où il récupère Katabolonga, capable de parler par-delà la mort, qui devient son homme de confiance. La mort du roi Tsongor, quant à elle, engendre une ère de combats sans fin que l'auteur relate, avec un soupçon de pittoresque lorsqu'il décrit les troupes en présence. Qu'on ne s'y trompe pas: le roi guerrier n'a rien légué d'autre que les guerres à sa descendance.
Rien, vraiment? Tsongor aura eu honte un jour, et c'est ce sentiment, legs amer, qui constitue le leitmotiv de "La mort du roi Tsongor". Chaque personnage, chaque combattant la ressent à un moment donné, à commencer par les héritiers du roi. On pense entre autres à Souba, fils cadet de Tsongor qui, sur la demande de son père, s'en va à travers le monde pour trouver sept emplacements pour les tombeaux de Tsongor: c'est pour lui un parcours initiatique qui lui permettra de connaître de manière intime ce qu'a été son père, pour le pire comme pour le meilleur. Lui aussi aura ses doutes, ses errements qui perceront son cœur.
Riche des emprunts qu'elle fait aux imaginaires et mythologies les plus divers (Afrique, Asie, Europe antique), l'écriture de "La mort du roi Tsongor" s'avère intemporelle et massive, comme peuvent l'être les pierres qui servent à construire le palais d'un prince ou d'un roi. Et elle ne juge pas, laissant aux personnages le soin de le faire au gré de rares dialogues à la rhétorique irréprochablement structurée. L'auteur construit son roman à l'aide de chapitres qui, chacun, constituent une unité entière d'action, bien loin d'une structure à base de cliffhangers qui, en cachant délibérément un élément immédiatement utile à une intrigue qui paraît boiteuse et attend réparation, poussent le lecteur à tourner les pages.
Le vocabulaire, quant à lui, est généralement intemporel, et les phrases jouent un jeu à la fois rythmique et hiératique au gré, de temps à autre de phrases sans verbe présentes pour aller plus vite. "La mort du roi Tsongor" se présente dès lors comme une épopée ciselée qui égale celles des temps antiques; quant au flou temporel et local qu'arbore ce roman, il lui confère tout l'agrément d'un conte où ça ferraille sec, aux couleurs âpres, conclu cependant par une note d'espoir.
Laurent Gausé, La mort du roi Tsongor, Actes Sud, 2002/Babel, 2005.
Le site de Laurent Gaudé, celui des éditions Actes Sud.
Lu par Bianca, Carolivre, Enna, Fanfan Do, Horizon des mots, Kartable, Lectrice du dimanche, Lire et voyager, Mathilde Tellier, Murielle, Patricia Deschamps, Violette, Yossarian, Yuko.

Oh oui, ce roman est de toute beauté ! J'aime ce qu'écrit Laurent Gaudé et ce titre fait partie du haut du panier.
RépondreSupprimerBonjour Violette! Oui; et du coup, j'ai bien envie de lire "Le Soleil des Scorta". Affaire à suivre! Je te souhaite une bonne journée.
SupprimerCe roman fait partie de mes romans préférés de Laurent Gaudé. Roman à lire absolument.
RépondreSupprimerBonjour Philisine Cave! En effet, une belle découverte. Et je reviendrai sans doute à cet auteur. Bonne semaine à toi!
Supprimer