Frédéric Ducrest – "Tout comme il faut!" est un témoignage qui s'inscrit dans les heures parfois tourmentées que vit actuellement l'administration de l'enseignement secondaire dans le canton suisse de Fribourg. Naguère réputée pour sa qualité et son exigence, l'instruction publique de ce canton vit des temps apparemment délicats, dont la presse régionale se fait l'écho.
C'est dans ce contexte qu'intervient la parole de Frédéric Ducrest, directeur de cycle d'orientation né dans les années 1960 et licencié en 2024 par son employeur, le canton de Fribourg. Homme de conviction et de franc-parler, l'auteur dessine dans "Tout comme il faut!", à partir de son cas personnel, un tableau sans complaisance du métier d'enseignant de niveau secondaire 1, c'est-à-dire, pour les lecteurs français de ce blog, des adolescents de 12 à 15 ans.
Comme fusillé
"Tout comme il faut!" constitue la prise de position tranchée d'un directeur traumatisé par une expérience, celle du licenciement avec effet immédiat, qu'il a vécue comme celle d'un fusillé. Le lecteur se trouve donc en présence d'un témoin qui va parler de lui, de son expérience, de son métier, de ses convictions dont il n'a jamais fait mystère. En un seul mot: d'un humain qui assume ses multiples dimensions.
Celui-ci déroule la pelote à partir du fil que constitue son licenciement – un licenciement aux motifs peu clairs si l'on s'en tient au seul livre, mais qui tiennent sans doute à une liberté de ton qui a pu déplaire: l'auteur considère qu'il est inutile de peindre l'avenir en rose et qu'il vaut mieux dire aux jeunes titulaires du certificat d'études que la vie qui les attend est une guerre. On lui a reproché d'avoir invité une conseillère fédérale à s'exprimer devant les élèves; on n'en saura pas plus, de la part du directeur licencié qui s'exprime, que ce qui est dit en page 12, et il est permis de le regretter.
Pour la transmission des savoirs
Le lecteur découvre dès lors, au fil des pages, un enseignant devenu chef d'établissement, fidèle à un engagement indissociable de l'exigence, plus: de la fermeté, associées à la bienveillance. Le lecteur aimera l'idée, défendue par l'auteur, que pour être bien faite, une tête doit aussi être bien pleine. Partisan d'une école conservatrice, assumant l'idée que "c'était mieux avant", l'auteur s'inscrit en faux face au principe du transfert de compétences, qui ne sont pas des connaissances et permettent, si l'on n'y prend pas garde, qu'un élève par ailleurs brillant peut arriver en fin de scolarité obligatoire sans maîtriser certains savoirs fondamentaux.
Car oui: l'auteur de "Tout comme il faut!" est un homme de culture, fier aussi de transmettre de la culture à ses élèves, d'abord directement en tant qu'enseignant, puis en rendant possibles les conditions de cette transmission en qualité de directeur d'établissement. On sent qu'il supporte assez mal que des inspecteurs jugés comme hors sol viennent lui expliquer son métier, a fortiori avec des PowerPoint estampillés OCDE (les critiques de l'auteur à ce sujet, tittytainment inclus, résonnent avec celles de Cédric Biagini dans "L'emprise numérique", p. 131 ss) ou WEF.
Quelques dialogues, à peine caricaturaux, illustrent les dialogues de sourds qui peuvent survenir et illustrent l'abîme qui sépare les gens de terrain et les gens des bureaux – à ce titre, l'auteur fait avec son livre une œuvre d'information utile aux parents et aux personnes intéressées. Ces dialogues sont aussi nourris d'une pincée de wokisme illustré: en matière de docimologie entre autres, les inspecteurs et les autres acteurs administratifs semblent avoir renoncé à rechercher une quelconque vérité.
Enseignant cultivé et apprenti manager
Fidèle à la devise "Laudamus veteres sed nostris utimur annis", tirée d'Ovide, l'auteur de "Tout comme il faut!" démontre sa recherche constante d'un équilibre entre sagesse ancienne à transmettre inlassablement et nécessité de la modernité – tout comme il a su chercher un équilibre entre éthique de conviction et éthique de responsabilité, s'inscrivant dans les pas de Max Weber. Il craint l'impact néfaste d'un déséquilibre – quitte à passer pour nostalgique d'une école à l'ancienne. On le voit apprenti manager en début d'ouvrage, et si court que ce soit, c'est précieux: le métier de directeur d'établissement scolaire ne va pas de soi.
Plus loin, entre souvenirs personnels, pensées sur le métier et le monde qui va fondées sur de riches lectures, l'auteur assume d'être un enseignant monté en graine dont l'esprit sort parfois de son sujet pour mieux y revenir. Ultime élégance: jamais, au fil de pages à l'écriture captivante qui laisse percer une vocation d'écrivain aimant jouer avec les mots, l'auteur ne nomme aucun de ceux qui l'ont fait tomber.
Gageons que cet ouvrage pourrait résonner au-delà du terreau fribourgeois. Reste cependant une question: si l'on considère les positions respectives du directeur et de l'employeur, la séparation était-elle inévitable, sous quelque forme que ce soit? Au lecteur d'en juger.
Frédéric Ducrest, Tout comme il faut!, Charmey, éd. de l'Hèbe, 2024.
Le site des éditions de l'Hèbe.

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