lundi 18 août 2025

"Un singe en hiver", de la nostalgie au feu d'artifice

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Antoine Blondin – Carrefour des nostalgies de vies vécues ou rêvées, la cité balnéaire normande de Tigreville constitue le décor du roman "Un singe en hiver" d'Antoine Blondin. Le lecteur est immergé dans une histoire qui se déroule dans le calme relatif d'un automne qui, déjà, ne relève plus de la saison touristique. Dès lors, pourquoi Gabriel Fouquet hante-t-il si longtemps l'hôtel Stella? Albert Quentin, le patron, sexagénaire, abstème à la suite d'un miracle, s'intéresse à ce garçon jeune encore: une trentaine prête à basculer dans la vieillesse. Il en suivra un lien singulier entre les deux hommes.

Le lecteur d'aujourd'hui ne peut s'empêcher d'imaginer Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo dans les deux rôles principaux de ce roman magistral. Partant d'Albert Quentin pour planter le décor, l'auteur introduit peu à peu, dès le chapitre 2, le personnage de Gabriel Fouquet, comme pour intriguer le lecteur au sujet de ce client "longue durée" d'un hôtel qui, hors saison, fonctionne au ralenti, en particulier sans service au bar. Gabriel Fouquet va cependant peu à peu occuper presque toute la place: s'il est là, c'est pour voir, tant soit peu, sa propre fille, née d'un mariage qui a fini par un divorce. Madame est à Madrid, et la fille est au pensionnat.

Nostalgies il y a, oui, et ce sont même des obsessions. Du côté de Gabriel Fouquet, publiciste et homme de théâtre apparaissant peu concerné par son métier, c'est l'Espagne qui occupe l'espace, et surtout les corridas. Celles-ci sont évoquées d'une manière qui évoque immanquablement Ernest Hemingway; l'auteur cite du reste l'auteur de "Mort dans l'après-midi", dans une manière de salut respectueux. Côté Albert Quentin, ce sont les souvenirs militaires qui prennent le dessus, vécus en Asie du Sud-Est où il a choisi de servir; un casque colonial en témoigne sur l'image de couverture, excellente synthèse des enjeux du roman.

On le comprend, c'est l'aventure, réelle ou rêvée, travaillée au fil des pages par le rapport de chaque personnage à l'alcool qui va rapprocher les deux personnages, et les affranchir même de certains engagements un peu vains, tel celui d'arrêter de boire pour Albert Quentin. Le départ de Gabriel Fouquet avec sa fille a les allures d'un enlèvement romanesque; mais avant, l'auteur ménage un final flamboyant où Fouquet et Quentin, ivres mais debout, jouent l'espace d'une nuit hallucinée le rôle d'aventuriers qu'ils se sont rêvés. Cela, avec un feu d'artifice en point d'orgue. Il faut ce qu'il faut!

Certes, l'auteur a le souci de dessiner une vie villageoise autour des deux protagonistes majeurs de ce roman: Albert Quentin a une femme, Suzanne, et il y a un autre établissement public dans la cité de Tigreville. Mais cette vie apparaît au second plan pour laisser toute la place à la relation entre Fouquet et Quentin. Cette histoire est racontée dans un style ciselé, comme il se doit pour un écrivain relevant du mouvement des Hussards. Il s'autorise, et c'est délicieux, plus d'un trait d'humour ou d'ironie discrète, sans masquer l'ambiance plutôt mélancolique et automnale qui marque la vie d'une cité balnéaire hors saison, lorsqu'on parle davantage de chasse que de touristes.

Et en conclusion, l'on se souvient de cette histoire des singes que les habitants des grandes villes du Vietnam renvoient dans la brousse par trains entiers une fois qu'ils sont devenus trop nombreux en ville. L'un d'eux, métaphoriquement, n'est-il pas Gabriel Fouquet, rentrant à Paris où il a ses racines et son travail, sa propre brousse en somme, avec sa fille enfin retrouvée?

Antoine Blondin, Un singe en hiver, Paris, La Table Ronde, 1959/Folio, 2002.

Le site des éditions La Table Ronde, celui des éditions Folio.






4 commentaires:

  1. J'ai du voir le film il y a très très longtemps !!

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    1. Bonsoir Nathalie! Pareil pour moi; la lecture du roman m'a rappelé certains souvenirs de cinéma. Bonne semaine à toi!

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  2. Comme Nathalie, je me souviens du film mais je n'avais jamais su qu'il était inspiré d'un roman, classique en plus, je note, merci !

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    1. Bonjour PatiVore! En effet, il y avait un livre d'abord, et ça vaut le coup de s'y plonger, aussi pour avoir dans l'esprit la tête de Jean-Paul Belmondo et Jean Gabin...

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