jeudi 26 septembre 2024

Saromain, un regard à l'italienne sur les trente glorieuses

Bruno Testa – C'est un voyage au mitan du vingtième siècle, ces années qu'on a surnommées après coup les "trente glorieuses", que Bruno Testa propose à son lectorat avec "Nos années glorieuses". Ce faisant, l'écrivain stéphanois continue de tracer le sillon qui fait le sel de ses livres: l'immigration italienne dans la Loire, portée entre autres par la création d'une verrerie qui a besoin de main-d'œuvre. Rien de nouveau, alors? Voire: l'auteur concentre son regard sur la vie de famille, et le "je" de ce roman pourrait bien être l'auteur lui-même.

Le ton de "Nos années glorieuses" est marqué par une tonalité assez grave, tempérée par un esprit poétique de tous les instants et par un certain humour, prise de distance face à des éléments de vie difficiles à imaginer au vingtième siècle: oui, des gens se sont servis de pots de chambre bien après la fin de la Seconde guerre mondiale et les ont même partagés. Sur ce fait, mais aussi sur d'autres, l'auteur dessine finement une évolution de la notion d'intimité, à la hauteur d'un enfant qui comprend qu'au fil des ans, les choses changent. Et l'idée d'intimité aussi.

C'est qu'on vit les uns sur les autres à Saromain, cette cité fictive mais si réaliste à deux usines où les ouvriers se logent comme ils peuvent (en vrai, ils s'entassent) et où les opportunités, sans être nulles, sont clairement codifiées: la verrerie ou la source, option ouvrier. L'auteur dessine, constamment, la touche italienne de ce monde: les anciens immigrés s'évertuent à préserver des traditions italiennes qui n'ont plus guère de sens en France, les plus jeunes cherchent leur voie dans les possibilités d'émancipation que la France propose: aller à la ville la plus proche, quelle qu'elle soit (l'auteur mentionne entre autres Montbrison et Saint-Etienne), ça compte et ça vous change un jeune homme... ou une jeune femme. 

Mine de rien, en effet, l'écrivain met en scène un milieu d'Italiens immigrés qui tiennent à leurs usages, trouvant leur bonheur aux jardins ouvriers, ouvriers accédant à la propriété à une époque où c'était non seulement un rêve, mais bel et bien une possibilité, moyennant un coup de pouce du patron. Le lecteur comprend cette bascule vers la modernité au travers de symboles bien concrets que l'auteur décrit, dans leur forme comme dans leurs impacts – on pense en particulier à l'arrivée de la télévision dans les ménages. Sa mise en place dans le foyer, de même que la création ou non d'une salle à manger dans un foyer (peu utilisée même quand on a des invités, c'est du luxe!), est un enjeu d'ascension sociale.

On est chez les Italiens avec "Nos années glorieuses" de Bruno Testa, mais force est de relever que les tendances sociales que l'écrivain dessine ont été celles de tout le monde, à des degrés divers et avec des fortunes diverses. Ainsi, évoquant les Mistral gagnants par exemple, l'auteur se met en résonance avec le chanteur à texte Renaud – et de tels échos ne sont pas rares au long d'un ouvrage qui témoigne d'une évolution sociale observée avec les yeux d'un immigré d'Italie, tendu entre le poids de traditions dont la simple remise en cause semble parfois impossible et l'envie de se créer sa vie sur le terroir où l'on a vu le jour. Faut-il renier son histoire familiale, l'assumer, trouver un juste milieu? C'est cette réflexion, personnelle voire intime, que Bruno Testa mène, souriant, au travers de ce livre, peut-être le plus fort de sa plume à ce jour.

Bruno Testa, Nos années glorieuses, Paris, Le Pommier, 2022.

Le site des éditions Le Pommier.

Lu par Christlbouquine.

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