Jean-Luc Rochedy – Un jour se lève sur Simon, le premier du reste de sa vie: le voilà retraité, à soixante ans. Les circonstances emmènent ce Nordiste sur les routes de France, direction le sud. Tel est le point de départ de "La fille aux pieds nus", de l'auteur altiligérien Jean-Luc Rochedy. Un premier roman qui a vu le jour en période de confinement, mais il n'en sera pas du tout question dans ses pages.
Situé à une époque où l'euro n'était qu'un projet, où l'on fumait sans complexe dans les établissements publics et où l'on roulait en Renault Super Cinq, "La fille aux pieds nus" est un roman empreint d'une nostalgie prégnante. Celle-ci est portée également par les vieux airs de Charles Aznavour ou de Gilbert Bécaud (sans oublier Dalida, si l'on pense au titre de ce roman). Cette nostalgie, c'est aussi celle d'un homme qui, à soixante ans, considère les temps forts de son passé: un service militaire au loin dont il lui reste quelques proverbes créoles, et surtout la mémoire de Claire, cette fille qu'il a aimée.
Est-ce elle, cette Claire, qui l'a inconsciemment guidé vers ce village d'Auvergne où Simon se retrouve bloqué, par temps de grosse neige, à la suite d'un accident sévère? Tel un ectoplasme, l'ombre d'une femme travers en effet le roman à la manière d'un motif récurrent aux accents fantastiques. Est-elle réelle, cette ombre? Entre la neige qui fait qu'on n'y voit goutte et les alcools qui troublent l'esprit, il est permis d'hésiter. Et pour troubler les esprits, l'auteur sait user de ces ressorts classiques...
... au-delà de ces nostalgies qui travaillent Simon jusqu'à ce qu'il trouve les réponses à ses questionnements et en tire toute la sérénité qui lui permettra d'avancer, en effet, ce roman est aussi un hymne aux convivialités et aux amitiés qui se scellent dans les bistrots. L'auteur les présente comme des lieux de socialisation par excellence, mettant en scène un patron débonnaire et toujours à l'écoute, ainsi qu'une joyeuse équipe de commensaux prêts à discuter en jouant au tarot et en éclusant force bouteilles.
En particulier, l'auteur se laisse volontiers aller à son talent pour rédiger des dialogues succulents, pleins de gouaille. Qui sait s'il n'a pas glané mine de rien telle ou telle parole dans le cadre de son activité de limonadier, à l'enseigne du "Cyrano" à Monistrol-sur-Loire? Il en résulte en tout cas des répliques hautes en couleur, piquantes même, qui ne manquent pas d'amuser. Celles-ci reflètent aussi la vie d'un village auvergnat que l'auteur ne nomme jamais: c'est par la parole entre proches que les nouvelles sont véhiculées, de manière surprenante (les nouvelles vont vite), sans qu'il soit nécessaire d'activer des réseaux sociaux alors inexistants.
S'il fallait un bémol, ce serait du côté éditorial: ce beau roman aurait mérité un dernier coup de polish pour éliminer quelques coquilles et scories typographiques. C'est peu de chose cependant face à l'agrément d'une belle histoire vécue le plus souvent entre hommes devenus amis mais où c'est quand même, par-delà les obstacles, une femme qui permet à un jeune senior de grandir encore un peu et d'avancer dans sa vie. Voilà de quoi donner raison à un autre chanteur encore, Tino Rossi: ne disait-il pas "La vie commence à soixante ans"?
Jean-Luc Rochedy, La fille aux pieds nus, Saint-Etienne, Abatos, 2023.
Le site des éditions Abatos.
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