samedi 21 septembre 2024

Laurent Eltschinger, entre la vie et la mort à Semsales

Laurent Eltschinger – Avec ses romans, l'écrivain  Laurent Eltschinger, remarqué dès 2020 avec "Le combat des Vierges", développe des intrigues policières dans le canton de Fribourg. Le lecteur est invité à suivre l'inspecteur Jean-Bernard Brun, dit JiBé, personnage récurrent. Et c'est dans le district de la Veveyse, précisément à Semsales, qu'il est conduit à mener l'enquête dans une cinquième affaire. C'est la teneur du roman "Prélèvement sans gain".

Tout commence par une découverte macabre: un champignonneur a priori sans histoires tombe sur un cadavre au pied de la cascade du Dâ à Semsales. Le défunt n'a pas que des amis, c'est le moins qu'on puisse dire: Noé Millasson est le quérulent de service au village, celui qui actionne la machinerie judiciaire pour un oui ou pour un non. Détail curieux: l'autopsie décèle qu'on lui a enlevé un rein, ce qui peut dénoter le caractère altruiste qu'on prête aux donneurs d'organes. Et au fil de  sa lecture, le lecteur découvre en Noé Millasson un personnage complexe au vécu difficile. 

Côté vécu, c'est aussi à un certain instant de son existence que le lecteur cueille JiBé, policier quinquagénaire bon vivant dont le cœur commence à faire des siennes. En écho au rein disparu de Noé Millasson, l'auteur introduit ainsi le motif des greffes d'organes: JiBé pourrait en avoir besoin. Et il est marié à une cardiologue, Rachel, qui vient de saisir l'opportunité professionnelle de sa vie. Trop belle pour être vraie, cette opportunité? L'auteur choisit d'entretenir le doute.

Au fil de l'intrigue, l'auteur oppose deux types de personnages: ceux qui, malades incurables ou proches de ceux-ci, voudraient mourir et font appel aux organisations telles qu'Exit ou Dignitas, actives en Suisse en raison d'une législation libérale en la matière. En face, il y a toute la cohorte de ceux qui veulent continuer à vivre coûte que coûte, auxquels s'adosse le don d'organes, devenu un business pas toujours au-dessus de tout soupçon que l'auteur illustre avec l'employeur de Rachel.

Bien sombre, tout ça? Voire! Sur des thématiques aussi complexes, l'écrivain réussit à écrire un roman à l'ambiance agréable, jamais plombée. Les ambiances villageoises sont recréées pour le meilleur, au gré de petites fêtes et de commerces tenus par des passionnés qui contribuent au lien social. Décrits avec bienveillance, ces commerces existent du reste réellement, et sont mentionnées en fin d'ouvrage, à l'exception de la boutique "La Capeline écarlate", fictive, dont le nom est un clin d'œil au roman du même nom, signé Manuela Ackermann-Repond.

Certes marquée par les crasses que les uns font aux autres dans le contexte villageois, cette ambiance sympa est aussi portée par l'humour qui affleure çà et là, sous les formes les plus diverses: titres des séquences qui structurent l'ouvrage et ne reculent pas devant les jeux de mots, mais aussi dialogues. En particulier, c'est par la parole que l'auteur dessine le lien profond, empreint d'une complicité tous azimuts, qui s'est installé entre Rachel et JiBé. Complicité qui confine parfois aux allusions olé olé...

Il est possible de se demander pourquoi l'auteur n'a pas évoqué dans "Prélèvement sans gain" l'ombre du double crime de Maracon, événement marquant survenu à un jet de pierre de Semsales en 1949 – quitte à laisser l'impression que les personnages du cru n'en ont curieusement pas le souvenir. C'est délibéré, confie-t-il: il est temps de tourner la page. "Prélèvement sans gain" apparaît ainsi comme un polar parfaitement en phase avec son temps (l'action se déroule au début septembre 2024), solidement construit, dont le tout dernier mot crée un certain suspens. Qu'adviendra-t-il de JiBé, en effet? La suite, gageons-le, au prochain épisode.

Laurent Eltschinger, Prélèvement sans gain, Charmey, Editions Montsalvens, 2024.

Le site de Laurent Eltschinger, celui des éditions Montsalvens.

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