Antoine Conforti – Allier la science et la religion n'est pas sans risque, et les lecteurs de "La théologie expérimentale" d'Antoine Conforti l'apprendront, non sans frissons dans le dos. Regardons-y de plus près: nous voici en présence du docteur Revil, sorbonnard frotté à la fois de physique et de théologie, redoutablement intelligent, lâché dans le Valais enclavé du dix-huitième siècle peu après la mort du Roi-Soleil. Le péché n'est jamais loin, l'horreur approche, nous sommes dans la collection "Gore des Alpes"...
Si l'histoire apparaît rocambolesque, force est de relever qu'il suffit de secouer un peu Google pour découvrir que les principaux ecclésiastiques mis en scène ont bel et bien existé, à commencer par François Antoine Revil (dont le nom de famille est l'anagramme de "livre", bel exemple d'aptonyme), et gravitent autour de l'abbaye de Saint-Maurice, haut lieu de formation à la réputation désormais ternie par des affaires d'emprise à caractère sexuel. Ce sont de quasi-anonymes; et leurs fantômes seront sans doute étonnés du destin que l'écrivain leur invente.
Toute l'affaire de ce roman tient en effet dans le projet, probablement fictif, qu'a le docteur Revil de développer une machine qui, scientifiquement, permet à Dieu de châtier en direct ses fidèles pécheurs. Il fait ses premiers essais dans la paroisse qu'il anime, au sud du Rhône, et quelques fidèles s'y font brûler les doigts puis fustiger. Sûr de l'infaillibilité de sa machine, au fonctionnement guidé par la toute-puissance divine qui ne saurait se tromper, l'ecclésiastique va faire des essais pour mieux comparer la gravité des péchés.
Le Valais alpestre que l'auteur dessine sans filtre apparaît résolument sauvage, peuplé de villageois à peine instruits et souvent handicapés: goitre, consanguinité, incestes entre enfants, lenteur d'esprit, tout y passe – y compris le crétinisme endémique, un mot dévié de "chrétien" et qui souligne l'innocence de ces âmes peu affûtées. Innocence? Même cette innocence, François Antoine Revil va la mettre à l'épreuve. Quant au lecteur, quel regard va-t-il porter sur ce petit monde, affreux et pitoyable? De qui est-il invité à se moquer?
En bon livre d'horreur, l'auteur explore le monde des choses affreuses, des viscères et des chairs, et même des coliques, obsession d'un personnage qui en fera une description délicieusement nauséabonde où le diable lui-même a un rôle à jouer. Enfin, l'atmosphère inquiétante est également soulignée par les superstitions des uns et des autres, marquées par un paganisme mal digéré, auxquelles le révérend ne croit guère.
Non sans humour, l'écrivain revisite ainsi, à la manière outrancière que permet le genre du roman d'horreur, le personnage type du savant fou. Un type de personnage qui traverse les siècles, et qui existe même en vrai. Et certes, il y a la distance historique, et Dieu a (presque) disparu des livres de sciences dures. Mais alors que plus d'un scientifique d'aujourd'hui aime adopter la posture flatteuse de l'infaillibilité, faisant litière de l'humilité qui devrait être inhérente à son métier, et alors également que l'on présente volontiers, aujourd'hui encore, la technique comme infaillible (le coupable, c'est toujours l'interface chaise-clavier...), ce court roman, paru dernièrement, est d'une parfaite actualité.
Antoine Conforti, La théologie expérimentale, Ardon, Gore des Alpes, 2024.
Le site des éditions Gore des Alpes.
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