Solène Bakowski – D'abord paru en auto-édition, "Un sac" a trouvé la voie de l'édition traditionnelle en raison de son succès, par l'entremise des éditions Bragelonne. Il s'agit d'un roman noir mené par une question lancinante: qu'y a-t-il dans le sac à dos d'Anna-Marie Caravelle en cette fameuse nuit où elle se retrouve plantée Place des Grands hommes, face au Panthéon à Paris?
Anna-Marie Caravelle n'est pas n'importe qui. Elevée dans un strict isolement par une veille dame bizarre parce que sa mère a pété les plombs peu avant sa naissance, elle ne sait pas grand-chose du monde qui l'entoure, à commencer par Paris. Privée du mode d'emploi de la société des humains, la voilà d'emblée condamnée à la marginalité. Ah, et encore un truc: Anna-Marie Caravelle tue.
Et Anna-Marie Caravelle, force est de le relever, est entourée d'anges. En musique de fond, l'auteure développe avec talent le champ lexical correspondant: autour d'Anna-Marie, il y aura donc une faiseuse d'anges, un ange blond qui déchoit et même un petit ange mort trop tôt, une fille qui porte le prénom de son père: Camille.
Anna-Marie Caravelle n'a pas grand-chose pour elle, si ce n'est une certaine débrouillardise qui lui permet de mettre sous le boisseau certains éléments moraux. Est-elle belle? On peut en débattre, tant il est vrai qu'elle porte sur le visage une tache de vin, ingrat héritage génétique. Celle-ci grandit et rétrécit au fil des événements, d'une manière que l'auteure suit de façon un peu lâche mais jamais oubliée. Et la romancière n'oublie pas de rappeler que la beauté est aussi une affaire de sensation personnelle: des habits bien choisis peuvent suffire à donner davantage de confiance en soi.
Et tous ces morts, alors? L'écrivaine ne s'aventure pas sur le terrain des descriptions d'assassinats sordides, réalisées à grand renfort d'hémoglobine et de cervelle qui gicle partout. L'option retenue n'est pas plus rassurante pour autant: Anna-Marie Caravelle apparaît possédée par ses démons (encore une variété d'anges déchus!) lorsqu'elle tue. Et tant qu'à faire, l'auteure ne recule pas devant l'ellipse pour éviter l'écueil du voyeurisme complaisant et privilégier une ambiance d'anxiété diffuse.
Dominé par des atmosphères sombres ou nocturnes dessinées à l'ombre des horloges (celle de l'appartement de la vieille Bonneuil faisant écho à celle, bien connue, de la gare de Lyon), et même s'il souffre de quelques imperfections de focalisation (comment Anna-Marie sait-elle ce qu'a vécu Camille au commissariat de police alors qu'elle n'y était pas?), "Un sac" constitue la relation crédible d'un destin de femme hors norme et hors société, inscrite nulle part, qui n'existe pour personne et évolue dans un contexte où rien n'est donné, malgré quelques répits vite évoqués. L'auteure, en effet, a bien compris que les difficultés de la vie des personnages accrochent davantage le lectorat que leurs années de bonheur sans nuage. Tant mieux: haletant grâce à ses chapitres courts, "Un sac" s'ouvre... et se dévore.
Solène Bakowski, Un sac, Paris, Milady/Bragelonne, 2017.
Le site des éditions Bragelonne.
Lu par Anaïs, Aurélie, Aurore, Camille, Canel, Chacha, Flo, Isis, Jostein, Ju lit les mots, Khiad, La Livrophile, Le temps de la lecture, Lily, Littérature et français, Marion Poidevin, Nathalie Carnesse, Océane, Riz-Deux-ZzZ, Sonia, Une souris et des livres.
ça m'a l'air quand même assez noir
RépondreSupprimerBonjour! Oui, ça l'est! Les personnages ne sont guère aimables, et on évolue surtout dans le monde de la précarité à la parisienne: logements miteux, combines pour trouver de l'argent, etc. C'est très différent de son dernier roman, "Ce que je n'ai pas su", certes fondé sur des secrets de famille, mais beaucoup moins étouffant.
SupprimerBonne journée et bonnes lectures à toi!