Bernard Fischli – Spécialisé dans la science-fiction, l'écrivain Bernard Fischli ajoute un nouvel opus à sa série des "Voyages sans retour", qui dessinent ces mondes que l'humanité devra peut-être coloniser après avoir consommé tout ce que la généreuse planète Terre (rebaptisée "Terra", comme dans "Donoma", un précédent roman de l'auteur) a à lui offrir. Intitulé "Mandragore", ce roman intègre la question religieuse à une intrigue qui, par ailleurs, interroge la place de l'humain sur une planète qui, au fil de millions d'années, a produit ses propres formes de vie.
C'est en effet un motif religieux bien chrétien qui mobilise Jon, colon sur la planète Mandragore: son père spirituel, le Père N'Diaye, l'a envoyé, avec un collège de dignitaires, retrouver le père Etienne. Pas évident dans un contexte où les religions, interdites par un pouvoir essentiellement militaire qui a l'œil sur tout, sont forcément suspectes. Jon est sincère dans sa foi, et le texte de "Mandragore" en témoigne en glissant quelques allusions bibliques. Cependant, on le voit douter et louvoyer, en particulier dès lors qu'il a mis la main sur un message désabusé du personnage qu'il recherche.
Le choix d'une logique chrétienne permet à l'auteur d'aborder des questionnements familiers au lectorat d'Europe occidentale, plus ou moins coutumier des codes du christianisme. Il sera donc question, pour les personnages en présence (parce qu'il n'y a pas que Jon, hein!), de rédemption pour des erreurs passées, de tentation par le Malin (la scène culminante du roman s'avère flamboyante), et aussi de la création, avec ou sans majuscule.
C'est qu'en contrepoint d'une petite musique religieuse qui pourrait faire figure de ritournelle, l'auteur a l'habileté d'introduire dans son récit la question de l'écologie, en particulier par le biais du personnage de Tim, une scientifique égarée dans la drogue et que Jon va prendre sous son aile. A travers Tim, l'auteur laisse entendre que même sur une autre planète, l'humain ne peut que reproduire les mêmes erreurs que sur Terre, en en puisant les ressources sans trop réfléchir. Surtout, à travers quelques éléments ciblés (les animaux importés sur Mandragore, volontairement ou non – on y trouve des vaches et des poules pour manger, et des moustiques pour piquer), le romancier interroge la capacité qu'aurait l'humain à s'intégrer à un écosystème apparemment familier, mais qui, évolué à sa manière selon une dominante végétale et fongique, peut s'avérer piégeux.
"Mandragore" se développe comme une sorte d'odyssée qui traverse une nature pas forcément bienveillante et des villes de quelques centaines d'âmes qui essaient de se créer un mode de vie sur une planète où il est possible pour l'humain d'exister. L'ambiance est rude, cependant, et l'auteur le souligne au travers de personnages généralement dépourvus de manières – le plus souvent des hommes, d'ailleurs, même si c'est d'une femme que vient le dénouement du roman. Femme? Au travers des personnages de Tim, d'Amelia et d'Amina, l'auteur anime avec plus ou moins de force plusieurs types féminins: objet d'amour ou de tentation, mais aussi vecteur d'émancipation dans un monde hostile, mais vivable à condition de commencer avec humilité.
Bernard Fischli, Mandragore, Vevey, Hélice Hélas, 2023.
Le site des éditions Hélice Hélas.
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