Clarissa Rivière – Le Village des Soumises est une station de vacances entièrement consacrée aux jeux de domination et de soumission. Dans l'esprit, il revisite "Histoire d'Ô", offrant aux soumises et aux maîtres un espace rien que pour elles et eux. Il est permis d'y voir une sorte d'utopie localisée, de locus amœnus où certaines règles et coutumes sociales sont suspendues au profit d'autres, que chaque vacancier s'approprie. Surtout, "Le Village des Soumises", c'est aussi le titre du dernier roman de l'écrivaine Clarissa Rivière.
Longtemps, le lecteur suit avec délices, tel un voyeur, ce qui se passe au Village. Cela, à vues humaines: la romancière met plus particulièrement en scène onze personnages bien dessinés (on se souvient entre autres d'Axel le viking, d'Aude la frêle, de Pierre le sournois, d'Antoine qui se perd en route...) qui s'y retrouvent pour les raisons les plus diverses: curiosité, envie de passer du bon temps ou de mieux se connaître, ou même mener l'enquête pour un média avide d'investigation.
Et c'est vrai que longtemps, l'ambiance du roman est ludique et généralement bon enfant – les jeux de domination devant rester un jeu de rôles consenti. Les moments de partage érotique pimentés se succèdent donc à un rythme soutenu au fil des pages: soupirs et accouplements à l'occasion d'une lecture à la bibliothèque, fellations au bar ou au détour d'un chemin, cours de sadomasochisme dispensés par une fausse soumise au fort caractère, représentations de "littérature hystérique" à la manière imaginée par Clayton Cubitt.
Au gré des pages, l'auteure explore avec finesse et légèreté, cette ligne fine des sensations où la douleur confine au plaisir, voire s'y mélange, la brusquerie même pouvant faire partie du jeu au même titre que le respect le plus distingué. L'auteure fait aussi sa place au rôle du "safeword", ce mot convenu entre partenaires et qui permet de mettre fin à un jeu s'il n'est plus un plaisir consenti. Quelqu'un s'en servira-t-il? Par tous ces éléments, une personne peu familière des jeux sadomasochistes peut se faire une idée de ce que cela peut être.
Pourtant, le lecteur attentif comprend vite, à quelques indices, que tout n'est pas rose au Village des Soumises, à l'ombre d'un château mystérieux (son accès est strictement réglementé) et vaguement inquiétant. D'emblée, l'auteure installe une sorte de "pacte avec le Diable" au Village: les femmes accèdent gratuitement au club, mais les hommes, qui certes paient cher, sont autorisés à disposer d'elles comme ils l'entendent, tels les maîtres BDSM qu'ils sont. L'omniprésence de caméras renforce l'impression de paradis truqué: elles sont officiellement en place pour veiller à ce que rien de mauvais n'arrive, mais pourraient également permettre un certain voyeurisme, voire des enregistrements non consentis.
Dès lors, d'enjouée, la narration devient peu à peu plus sombre. En indiquant le double jeu trouble des propriétaires du Village, l'auteure suggère les dérives possibles de tels jeux. Dans le roman, ils sont organisés après tout par une entreprise dont le but est d'être rentable voire bénéficiaire, quitte à tricher ou à vicier certains consentements. Et dans la vraie vie aussi, rappelle la romancière – qui ne se voile pas la face – il peut toujours arriver de se retrouver en présence d'un maître ou d'une domina indigne.
Déclinant au fil des pages ses multiples variations sur un thème a priori délicat, celui des jeux sexuels de domination, "Le Village des Soumises" se termine sur la promesse d'un nouveau départ, plus sain, plus égalitaire et dépoussiéré. C'est un roman qui assume un érotisme soutenu et agréable, riche en surprises. Et pour faire bon poids, les références littéraires n'y sont pas rares, reflet des plaisirs livresques de l'auteure.
Clarissa Rivière, Le Village des Soumises, Milly-la-Forêt, Tabou Editions, 2023.
Le blog de Clarissa Rivière, le site de Tabou Editions.
Lu par Chris la Nuit, Fleur.
Bonjour Nuits et Jours, merci de votre message, que je lis avec un peu de retard! En effet, ce roman est une bonne lecture pour découvrir un monde particulier, sans malaise et, comme vous le dites, sans agressivité.
RépondreSupprimerBonne fin de semaine à vous!