Sylvie Bourgeois – "Brèves enfances", ce sont trente-quatre chapitres qui sont autant d'instantanés saisis avec acuité dans ces moments de l'enfance propres à briser l'innocence. Familles dysfonctionnelles, enfants illégitimes, divorces, absences de l'un ou l'autre parent, décès: tout cela, l'écrivaine Sylvie Bourgeois l'explore en se mettant à la place des enfants eux-mêmes. Le résultat, c'est un livre aux airs de recueil de nouvelles. Mais en est-ce vraiment un?
Dès le premier chapitre, le lecteur est épaté par la capacité qu'a l'auteure, fulgurante dans ses traits, d'aller à l'essentiel. Pauvre enfant que celui qui se raconte dans "Mon papa est curé", amoureux d'une fille nommée Marie et qui pourrait être sa demi-sœur: tout semble lui tomber dessus. Et dès ce premier texte, l'auteure excelle à reconstruire la logique interne parfois étrange mais toujours implacable qui marque les réflexions des enfants lorsqu'ils observent les adultes.
En particulier, elle souligne à plus d'une reprise l'attachement qu'ont les enfants envers leurs parents, même si celui-ci n'est pas évident. On pense à ce garçonnet dont la mère est en prison parce qu'elle a tué son mari, par exemple: "Ma mémé, elle me dit que même si ma maman elle a tué, je dois continuer de la fréquenter. Que c'est ma mère quand même. Et que des mamans, on n'en a qu'une", dit-il dans "Prison". Ce qui n'exclut pas la sévérité des enfants envers les adultes en général et leurs parents en particulier: ainsi, l'auteure explore avec finesse les méandres et les paradoxes de l'attachement filial au fil des confessions d'enfants qu'elle restitue.
Et peu à peu, le lecteur commence à trouver des constantes. La romancière resserre en effet progressivement les fils de ses récits successifs, donnant l'impression que tous ces enfants pourraient se connaître, vivre dans le même coin de France et en ces temps anciens déjà où l'on payait encore en francs. Cela, jusqu'à l'extrême: les dernières nouvelles du livre sont racontées par la même fillette à des âges divers – une fille qu'on a déjà vue en début de livre, ce qui crée une résonance. S'il a les allures d'un recueil de nouvelles, le livre "Brèves enfances" se termine ainsi comme un roman.
Il se dégage enfin des instantanés de "Brèves enfances" un certain humour, plutôt noir qu'hilarant, qui apparaît, comme qui dirait, comme une forme de politesse du désespoir. Tel est le reflet, parfaitement restitué par l'écrivaine, de ce que les enfants peuvent ressentir face à une existence adverse.
Sylvie Bourgeois, Brèves enfances, Vauvert, Au Diable Vauvert, 2009.
Le blog de Sylvie Bourgeois, le site des éditions Au Diable Vauvert.
Je ne crois pas avoir déjà entendu parler d'un tel ouvrage qui semble explorer avec brio les rouages de l'attachement des enfants envers leurs parents.
RépondreSupprimerBonsoir Audrey!
SupprimerC'est une lecture qui m'a un peu sorti de mes habitudes, mais force est de relever que ce livre est réussi! Avec une nuance cependant: il se présente comme un recueil de témoignages épars, mais se termine comme l'histoire d'un seul personnage. Peut-être l'auteure elle-même? A découvrir en tout cas.
Amicales salutations à toi, et bonne semaine!
P.-S.: dans le genre, il y a aussi eu l'excellent "Que nos vies aient l'air d'un film parfait" de Caroles Fives. A redécouvrir, mais pour le coup, c'est pleinement un roman.
RépondreSupprimerUn beau billet pour un roman à part, semble-t-il...
RépondreSupprimerBonsoir Violette! Oui, un peu à part comme livre, dans son ton mais aussi dans cette construction qui semble que tout commence comme un recueil de nouvelles et que tout se termine comme un roman. L'exercice est réussi mais surprenant: on se sent glisser au fil des pages...
SupprimerBonne soirée à toi!