Alice Bottarelli – Il suffit d'un incipit long mais impeccable pour mette sur les rails "Ombeline et Rodogune", deuxième roman de l'écrivaine suisse romande Alice Bottarelli. Cette première phrase, qui tient tout un paragraphe, met en scène les personnages principaux du livre (Imier qui n'est pas encore saint, Rodogune et surtout les animaux qui les entourent), placés dans un contexte médiéval de fantaisie. Une fantaisie portée en particulier par les mots, qu'il s'agisse d'évoquer ces bœufs qui passent avant la charrue (p. 10) ou, à la façon d'un Arthur Rimbaud, d'évoquer un val qui mousse de rayons (p. 91).
Figure masculine revisitée du chaste fol, Rodogune a des airs de Parsifal dans "Ombeline et Rodogune". Le lecteur le voit évoluer de façon naturelle, naïve, de son enfance jusqu'à son dix millième jour. Quant à la romancière, elle donne aussi peu à peu sa place à Ombeline, jeune femme qui vaut davantage qu'un prénom dans un titre.
Parce que, oui: Ombeline, "Celle qui marche" (p. 27), s'avère un superbe personnage! Il est permis de voir en elle le motif de la sorcière, farouchement indépendante, capable de se débrouiller seule face à la nature et à des humains pas forcément bienveillants. Son amour pour Rodogune l'arrête le temps de donner la vie à un enfant et de l'élever; mais cette mère saura reprendre sa route au bon moment. Quant à ce Christ-Alain, fils donc, enfant nageur émérite avant même de savoir marcher, il sera le point de départ d'une lignée infinie qu'Imier, devenu saint entre-temps, fait valoir en qualité d'observateur.
Christ-Alain... n'avez-vous pas entendu Cristallin? Pas faux! La romancière ne manque aucune occasion de jouer finement avec les mots et les allusions littéraires dans "Ombeline et Rodogune". Son écriture aime les périodes bien développées qui font allusion aux auteurs majeurs ou marquants d'hier et d'aujourd'hui. Elles s'avèrent exubérantes, ne serait-ce que dans leur volonté de ressasser, synonyme après synonyme, jusqu'à ce que le mot juste soit enfin dit.
Le lecteur de "Ombeline et Rodogune" se trouve face à un conte qui assume ses inexactitudes temporelles, gages de flou artistique, et assume son côté rêveur. Ce conte est également porté par des oiseaux qui sont autant de totems. On pense au moineau moribond qui a conquis le cœur empathique de Rodogune, mais aussi au vivace autour des palombes qu'Ombeline apprivoise. Sans oublier que pour écrire, du moins dans le haut Moyen Âge, il fallait bien une plume...
Enfin, il est question d'un navire. Celui-ci emprunte en particulier au motif de l'arche de Noé, conçue sans l'étendue du projet biblique qui lui sert de modèle. Les personnages s'y rencontrent à la façon d'une nef des fous qui ambitionne de poser un pied à terre. Pas évident quand l'enfant, Christ-Alain, a passé plus de temps dans l'eau que sur la terre ferme!
Allant jusqu'à faire mourir son Rodogune à 27 ans (comme Amy Winehouse, entre autres, tiens!), l'écrivaine explore et déconstruit, avec le sourire et en osant quelques malicieux anachronismes, les codes et allusions intemporels du monde des contes. "Ombeline et Rodogune" est donc un roman à la fois compact et exubérant, porté par un travail riche et allusif sur la langue française.
Alice Bottarelli, Ombeline et Rodogune, Prilly, Presses Inverses, 2022.
Le site des éditions Presses Inverses.
Je ne suis pas une adepte du Moyen-âge mais ce roman a l'air drôlement original.
RépondreSupprimerBonsoir Violette! Le Moyen Age apparaît comme un décor dans ce petit livre, original en effet: c'est un conte qui, à sa manière, déconstruit le genre avec le sourire. A découvrir!
SupprimerJe te souhaite une bonne semaine. Merci de ton commentaire!