Michaël Perruchoud – C'est dans les troubles survenus en Tchétchénie à la fin des années 1990 que l'écrivain suisse Michaël Perruchoud embarque ses lecteurs. Son dernier roman s'intitule "Une Lada bleue" et met en scène, de façon nuancée, tout un monde de personnages désenchantés, avec en tête quatre filles à peine sorties de l'adolescence qui recherchent, chacune à sa manière et avec ses moyens, un peu de magie dans une voiture apparemment déglinguée. Cela, dans une ambiance de sauve-qui-peut typique des conflits.
Cette Lada bleue, le lecteur la voit au début du livre, puis de façon épisodique avant qu'elle ne prenne tout son sens en fin d'ouvrage, lorsqu'elle sert de moyen de fuite aux quatre gamines – fuite d'un réel gris vers un monde où tout est possible, même le gâchis, qui sait. En voyant cette voiture vecteur d'évasion, tout droit issue des usines soviétiques, le lecteur ne peut s'empêcher de penser à la Ford Anglia, bleue également, qui amène Harry Potter et Ron Weasley vers le monde des magiciens.
Et la magie, elles en auront besoin, les quatre filles de la voiture. L'auteur s'attache à dessiner leur parcours et leur vie quotidienne, soulignant l'opposition entre les servitudes et les solidarités de l'appartenance au clan, fortes voire pesantes du côté tchétchène, et l'aspiration à l'émancipation et à l'individualité, porté par une Katarina qui peine à trouver son identité entre un père tchétchène et une mère de cette Leningrad qui devient Saint-Pétersbourg au cours du roman – sans oublier le nouveau compagnon de ladite mère, une brute plutôt épaisse mais protectrice. Pour souligner la force de caractère de ses personnages, l'auteur n'hésite pas à entrer dans leur esprit pour le faire parler, au-delà des dialogues. Et ce faisant, il excelle à dire l'enfance et la jeunesse, leurs élans et leurs doutes.
Et puis, il y a ce Pedro Salgado, otage espagnol collaborateur d'une ONG, que l'écrivain travaille en profondeur avant de l'abandonner comme s'il en avait marre de lui. Peut-être à raison? Au lecteur européen d'en juger: voilà un personnage médiocre (c'est celui qui ramène les Coca-Cola, pas celui qui fait jouir les filles...) pétri d'ambitions plutôt que d'idéaux, subitement pris en otage. Il est permis de voir en lui le symbole d'une certaine arrogance occidentale, que l'écrivain se plaît à dégrader. Le lecteur a cependant des raisons de penser que l'auteur a d'autres projets pour lui: ainsi, les sept ricochets que Katarina réussit à faire avec des galets sur l'eau résonnent avec les sept saltos que Pedro Salgado réussit à faire avec des godets de crème à café. Idylle en vue?
Est-ce dans son Espagne d'origine que Pedro Salgado a vu ces godets, d'ailleurs? Il est permis d'en douter, les godets de crème à café, tel celui qui figure sur la couverture, étant un objet typiquement suisse. Dans le même ordre d'idées, l'auteur assume parfaitement les helvétismes de son écriture lorsqu'ils expriment le mieux ce qui doit être dit. "Une Lada bleue" apparaît ainsi comme un roman au rythme rapide, qui oscille entre le désenchantement et cet espoir qui, comme on dit, meurt en dernier. Et qui pourrait même survivre lorsque la voiture fait un salto fatal...
Michaël Perruchoud, Une Lada bleue, Genève, Cousu Mouche, 2022.
Le site des éditions Cousu Mouche.
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