Laurent Schlittler – En une poignée de pages rapides et efficaces, l'écrivain suisse Laurent Schlittler réussit à décrire dans son roman "Un samedi au club" tout un écosystème qui évolue autour d'un club de tennis un peu trop proche d'un quartier résidentiel. Les échanges de balles sur le court font ainsi écho aux tensions qui ne manquent pas de naître entre des personnages divers qui poursuivent chacun leurs objectifs.
En abordant cette lecture, il est permis de penser à "La guerre du golf", roman de Georges Ottino, qui décrit les hiérarchies sociales à l'œuvre dans le domaine du golf, un autre sport connoté chic. En s'ouvrant aux relations entre les résidents et le club de tennis, médiocre mais considéré comme le lieu d'un certain statut social, cependant, l'écrivain Laurent Schlittler choisit d'aller plus loin, tout en étant plus dense dans son propos.
Parmi d'autres personnages, le lecteur va donc se trouver en présence de Brian Gollo, un jeune contrôleur des transports publics qui cherche sa place dans une société dont il n'a pas forcément les codes, la famille Favre membre d'une communauté religieuse évangélique un peu trop prosélyte, Manfred Jungöz le marchand d'articles de sport et sa jeune vendeuse Jane alias Kimea, et surtout l'envoûtante Gisela Concci.
A travers celle-ci, l'écrivain revisite le motif littéraire et féministe de la "sorcière", femme mûre à la fois libre et atypique, émancipée et active: c'est elle qui, dans ce roman, ira à l'encontre d'un mode de fonctionnement apparemment satisfaisant pour tout le monde en lançant une pétition contre l'éclairage nocturne du club de tennis. Elle trouve face à elle une adversité de taille, faite d'individus qui ont tout intérêt à ce que le club continue de fonctionner comme il le fait, quitte à en accepter des désagréments dont les riverains, en fait, profitent. Redoutable inertie!
Et c'est lors d'un tournoi organisé le samedi au club que tout se cristallise. Marchant dans telle ou telle nouvelle de "Dieu vous garde des femmes!" de Michel de Saint-Pierre, l'auteur en dit le caractère dérisoire: il s'agit du "Tournoi des Non Classés", soit de parfaits amateurs plus ou moins adroits – arbitre inclus. En effet, en décrivant le match fatidique que joue Brian Gollo face à Tobias Mann, un jeune homme comme Brian Gollo en a morigéné plus d'un dans le cadre de son activité professionnelle, l'écrivain suggère que la limite entre le sport et la vraie vie est poreuse et qu'une remarque mal comprise peut aussi passer pour une insulte trop entendue. Qui va gagner, et comment? L'épilogue dira le fin mot de l'affaire.
"Un samedi au club" adopte tour à tour le point de vue de ses personnages majeurs, soit à la première personne, qui rapproche (Brian Gollo), soit avec le recul de la troisième personne. Il en résulte un regard à la fois divers et précis sur un petit monde de gens qui n'ont apparemment rien à faire entre eux (l'auteur le souligne en donnant à chacune et à chacun des noms venus d'ici et d'ailleurs, apparemment au hasard) et que les circonstances de la vie ont rapprochés.
Un peu comme dans la société suisse? L'auteur ne localise jamais précisément son intrigue, mais quelques toponymes (les Clages, entre autres), suggèrent que c'est bien au pays de Guillaume Tell que ça se passe, dans un coin si peu profilé, genre périphérie d'une ville jamais nommée, que son identité importe peu. Un lieu à peine nommé, des personnages ordinaires vivant leur vie ordinaire dans un lotissement ordinaire, quoi de mieux pour construire une intrigue universelle, portée par un sport que tout le monde connaît? Les tensions décrites dans "Un samedi au club" sont bel et bien familières. D'où qu'on soit, voilà donc un petit livre à déguster, rythmé par le bruit des échanges de balles et du gicleur qui humecte les courts.
Laurent Schlittler, Un samedi au club, Vevey, Hélice Hélas, 2021.
Le site des éditions Hélice Hélas.
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