Christian Signol – Un début d'intrigue, quelques mots précis choisis pour que tout soit réaliste: dès les premières pages, l'écrivain Christian Signol plonge les lecteurs de " Là où vivent les hommes" dans un univers de terroir français, du côté de la Lozère. Il évite cependant l'écueil du pittoresque régionaliste en évoquant les thèmes qui, depuis toujours, travaillent l'humanité: le rapport à la nature et aux animaux, l'eau comme liquide nourricier indispensable (sous sa forme liquide, rare dans la région, comme sous sa forme saisonnière de neige), le lien avec notre compagne la mort animale comme humaine et la possibilité d'une transcendance, symbolisée par ces étoiles qu'Etienne et Achille observent si souvent.
Dès le départ, c'est par le procédé de la rétention d'information que l'écrivain captive l'écrivain: qui est cet Etienne, et que lui est-il arrivé dans sa vie pour qu'il se retrouve à la fuir dans un région où seuls vivent des bergers et des moutons? C'est même par hasard qu'il se retrouve en présence de Louise et Achille, deux aînés qui s'occupent d'une bergerie avec le talent et l'amour qui viennent avec les années d'expérience.
Et ce n'est que peu à peu, poussé par une curiosité doucement attisée, qu'Etienne, le citadin, se révèle aux lecteurs, avec ses drames personnels. Il y a le décès accidentel et tragique de sa compagne Julie, mais aussi la prise de conscience du faible sens que porte son métier, au-delà de son caractère lucratif. L'auteur a la facilité de ne pas en dire grand-chose, peut-on penser; mais après tout, ce n'est pas si important dans le déroulement d'une intrigue autrement plus profonde, voire cosmique.
Le lecteur découvre peu à peu le mystère qui entoure Etienne. Comme en harmonie, la nature et le monde rural se révèlent à lui, guidé qu'il est par Louise et Achille. L'auteur prend soin de dessiner la force et l'authenticité des liens qui se construisent entre ces deux vieillards et Etienne le citadin; par contraste, il dit aussi la perversité des liens familiaux biologiques dessinés entre Etienne et sa mère, surtout soucieuse que son fils ait une situation stable, raisonnable et lucrative. Cette mère, l'auteur en indique aussi le tempérament quelque peu manipulateur: si Etienne doit gagner sa vie, n'est-ce pas avant tout pour elle, pour lui faire plaisir?
Loin de déconstruire le monde idéalisé de la vie dans la campagne la plus sauvage ou de se livrer à une critique agressive, l'écrivain prend le parti d'en dessiner la profondeur, quitte à ce que la vision des choses apparaisse quelque peu romantique, idéalisée par-delà les difficultés. L'auteur développe plutôt le thème convenu de la richesse de la vie proche de la nature, valorisée et opposée à une existence urbaine, parisienne en l'occurrence, vue comme aliénante bien que matériellement satisfaisante. La structure même du roman, fondée en quatre partie qui sont autant de saisons, suggère la prédominance de la nature sur l'action humaine.
Ainsi, le lecteur se trouve plongé dans un espace littéraire rassurant et classique que l'écrivain maîtrise cependant à la perfection. Ce qui lui permet de transmettre quelques idées bénéfiques en rapport avec le monde rural et la nature, loin des écrans et des trépidations d'une vie urbaine vaine. En montrant peu à peu la transformation d'Etienne l'urbain, c'est l'histoire d'une reconnexion bénéfique à l'essentiel, voire à l'au-delà, que l'auteur relate, page après page. Et le lecteur se souvient, au fil des pages, qu'on voit mieux les étoiles en Lozère qu'à Paris, et que la pollution lumineuse n'en est pas la seule raison.
Christian Signol, Là où vivent les hommes, Paris, Albin Michel, 2021.
Le site des éditions Albin Michel.
Lu par Gilles Pudlowski.
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