samedi 24 septembre 2022

Marie-Jeanne Urech: le dernier qui part allume la lumière

Marie-Jeanne Urech – Une belle fable de science-fiction, voilà ce que l'écrivaine vaudoise Marie-Jeanne Urech propose à son lectorat. "K comme Almanach" met en scène un tout petit monde, symbolique d'une Terre que l'on déserte pour aller voir ailleurs, en l'occurrence sur la planète Belgador, si l'herbe y est plus verte.

Ce petit monde, ce sont les habitants d'un immeuble, gens simples: une femme qui gagne des objets d'une utilité discutable dans des jeux-concours, une autre qui soutient le bâtiment à bout de bras, un homme à mille pattes (séquelle de guerre) qui écoute du jazz. 

C'est aussi un univers où les mots sont rares et concrets, à telle enseigne que son abécédaire, imaginé en bouchant les trous, pourra paraître curieux: il dit par exemple "B comme Immeuble", ou précisément "K comme Almanach" – la lettre qui n'y apparaît pas, si ce n'est au moment du titre, puisqu'il s'achève, de manière émouvante, avec "J comme Je t'aimadore".

Et surtout, pour revenir aux personnages, il y a Simon, le lampiste, allumeur de lampadaires sur une planète qui se vide. Ses péchés mignons? La choucroute aux trois poissons de chez Beckenbaum, et aussi son métier, vécu comme un apostolat, comme un pont entre le jour et la nuit. Sa vie va se troubler lorsque le petit, venu de nulle part, y fait irruption – un gamin à l'âge indéfini, désespérément muet mais expressif et intéressé. 

L'auteure dessine avec délicatesse la relation qui se tisse entre les deux personnages, sur fond d'une terre qui se vide de ses habitants. Dès lors, quel sens donner, à une vie à deux, quasi filiale, marquée par la transmission d'un métier, celui de lampiste, devenu inutile sur une planète devenue vide de ses habitants?

Il est permis de voir dans le départ enthousiaste des personnages qui, nommés ou non, prennent le vaisseau spatial en direction de cette planète Belgador qu'on dit meilleure qu'ici une métaphore de la mort. Vous avez dit "eschatologie"? Oui, la religion apparaît en filigrane dans "K comme Almanach", et Pierre Yves Lador le relève à propos dans sa remarquable postface, reflet d'une lecture attentive. 

Mais elle a ses limites... l'eau bénite, utilisée à un moment donné pour éradiquer les mauvaises herbes qui empêchent les lampadaires de briller, peut être vue comme une métaphore des ressources limitées de notre bonne vieille planète Terre. Faute d'eau bénite comme de prêtres pour bénir sans fin l'élément liquide (ils sont tous partis), Simon le lampiste finit par se trouver à sec face à une végétation envahissante qui fascine le petit.

Dès lors, Simon fait figure de dernier des Mohicans, maintenant envers et contre tout un peu de lumière sur une Terre désertée – quitte à ce que ses efforts paraissent absurdes. Prendra-t-il le dernier astronef pour Belgador? Jusqu'au bout, la question reste ouverte. Et jusqu'au bout, le lecteur relève l'optimisme désespéré du propos: tant qu'il y aura des humains sur Terre, il y aura aussi de la lumière pour en dévoiler la beauté, même si personne n'est là pour la voir.

"K comme Almanach" s'écrit en phrases simples qui constituent des séquences courtes qui sont autant de flashes, tantôt descriptifs, tantôt dialogués sans que les mots ne s'encombrent des ponctuations usuelles. Voilà qui est parfaitement en phase avec ce roman qui, sous des airs parfois étranges marqués par de discrets néologismes, dit la vie des humains, lorsque doucement, les caractères se frottent, s'embrassent ou s'effacent.

Marie-Jeanne Urech, K comme Almanach, Vevey, Hélice Hélas, 2022. Postface de Pierre Yves Lador.

Le site des éditions Hélice Hélas.

2 commentaires:

  1. Je craque pour les couvertures minimalistes de ce type ! Je ne connaissais pas ce titre, merci de me l'avoir fait découvrir ! Il rejoint ma WL :)

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    1. Bonjour, merci de ton commentaire et merci de t'être abonnée à mon blog! :-)
      Ces couvertures minimalistes sont la marque de fabrique de cet éditeur - qui publie des choses formidables d'ailleurs, avec un goût pour la science-fiction et les auteurs et autrices capables de créer des univers très personnels; Marie-Jeanne Urech en fait partie, et l'a prouvé au fil de ses romans. Je t'en souhaite une excellente découverte!
      Bonne semaine à toi!

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