Karl-Reinhardt Übersax-Müller – Il est prévu que la saga romanesque et dessinée "Gérimont" aura dix volumes – c'est ce que prévoit son auteur, Stéphane Bovon. Mais voilà: des spin-off, numérotés au-delà de dix, viennent désormais s'y ajouter, signés d'auteurs ou dessinateurs proches de l'initiateur de ce titanesque projet fondé sur l'hypothèse d'une Suisse romande future largement noyée sous les eaux.
Et le tome 11 de la série, "Vevey sous les eaux", est ainsi venu se greffer au cycle. Imaginant une plongée dans la cité vaudoise de Vevey profondément inondée, son auteur, Karl-Reinhardt Übersax-Müller, rend hommage, au fil de ce bref roman, aux deux genres artistiques indissociables de la saga: la bande dessinée et le roman – technique et d'aventures, en l'occurrence.
Si l'écriture de "Vevey sous les eaux" paraît classique, elle est bourrée de clins d'œil et d'astuces qui signalent un hommage appuyé aux maîtres. Côté littéraire, on pense aux romans d'aventures du temps de Jules Verne. Côté bande dessinée, le propos salue Tintin, Lucky Luke, Astérix et quelques autres; de façon plus allusive, il sera question des Shadocks, qui pompent, tout comme les Dupondt dans un album de Tintin... et les deux personnages qui, restés à bord d'un bateau d'exploration, alimentent en air les deux personnages qui plongent au fond de l'eau en scaphandre pour trouver de l'ancien.
Chapitre après chapitre, "Vevey sous les eaux" revisite les hauts lieux de la ville noyée en gardant à l'esprit que ses personnages, qui évoluent dans un avenir éloigné, n'ont plus toutes les clés qui permettent au lecteur d'aujourd'hui de faire bon usage de la cité. Le siège de Nestlé, par exemple, interroge: amputé de son N, l'enseigne devient "estlé". Y a-t-il un "ouestlé" de l'autre côté?
Il y a donc un côté résolument "visite guidée" dans "Vevey sous les eaux", renforcé encore par les illustrations sombres et abyssales de l'auteur, portées par un flou artistique qui recèle un foisonnement omniprésent et éclairées par la couleur discrète des méduses. Pour le récit, ce sont là les ambrotypes pris par la photographe Vanille Moreno, descendue avec un archéologue qui est l'homonyme de l'auteur.
Brisant agréablement le rythme de ces séquences imagées, l'auteur donne la parole à Vanille Moreno et aux pompeurs et techniciens Dani Lacène et Etienne Gaudi. Ce n'est que justice: c'est une manière d'indiquer leurs apports respectifs à cette expédition low-tech. L'auteur recrée leurs voix avec succès, conférant en particulier un verbe pittoresque à Dani Lacène, artiste de la fondue à base de fromage damounais.
Enfin, tout en rendant hommage aux maîtres du passé, l'auteur souligne le caractère intrinsèquement fragile de tout support artistique ou presque, sans oublier le souvenir des créateurs (le plongeur fait des suppositions sur Marc Lévy en passant devant une librairie inondée), et indique ce que l'activité d'une petite ville peut avoir de périssable. Tout au plus remonte-t-il à la surface une toile récupérée au siège d'"estlé", représentant un paysage.
Court et décliné en chapitres brefs dûment illustrés, "Vevey sous les eaux" est un roman aventureux à l'ancienne, invitant le lecteur à poser un regard neuf et émerveillé sur des lieux qu'il a pu croire familiers. C'est un délicieux intermède dans la saga de "Gérimont", qui compte plusieurs titres et s'avère déjà ample.
Karl-Reinhardt Übersax-Müller, Vevey sous les eaux, Vevey, Hélice Hélas, 2022.
Le site de Karl-Reinhardt Übersax-Müller dit Krum, celui des éditions Hélice Hélas.
Lu par Francis Richard.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Allez-y, lâchez-vous!