Hervé Commère – Pas de doute: l'écrivain français Hervé Commère a le chic pour embarquer son lecteur dans ses histoires. Celle de son roman noir "Sauf" est un défi à la raison: arrivé à la quarantaine glorieuse, un propriétaire d'un dépôt-vente nommé Matthieu, dit Mat, dit Matelot, retrouve dans ses stocks un album de photos de famille où se trouvent des images de lui. Problème: tout cela aurait dû disparaître dans l'incendie qui a emporté, en vrac, ses deux parents et son manoir en Bretagne. Il avait six ans...
Commence alors une intrigue vertigineuse ô combien! Le lecteur ne peut qu'être accroché, sidéré même, à chaque cliffhanger qui conclut les courts chapitres du début du roman. Voyons: en ouvrant l'album de photos, Mat ouvre métaphoriquement une incroyable boîte à surprises. Ces surprises sont de deux natures: il y a les réponses aux questions que Mat se pose soudain sur son enfance, sa jeunesse, ses parents. Et pour ne rien arranger, tous les malheurs du monde semblent fondre sur Mat et sur son équipe de brocanteurs. Qui peut lui en vouloir au point de mettre le feu à la maison où il vit avec sa compagne Anna, en région parisienne?
En ménageant des zones d'ombre étendues autour de ses personnages, quitte à jouer avec les stéréotypes (c'est de bonne guerre, allez!), l'auteur se dégage une bonne marge de manœuvre pour développer de fausses pistes et créer une ambiance où la confiance est remise en question. Ainsi, tant Mylène, la grande bourgeoise au lourd passé que Gary le gitan à la main leste et au verbe sage apparaissent dans leur duplicité: sont-ils des alliés fiables? Supposée neutre, la police elle-même peut paraître suspecte, tant il est vrai qu'elle n'a pas fait tout son travail dans une affaire de suicide liée aux tribulations de Mat et d'Anna.
Il n'en faut pas plus pour que le lecteur perde ses repères: bien malin qui saura dire qui ment et qui dit vrai, qui est ami, qui est ennemi, qui protège ses fesses... L'un n'excluant pas l'autre, d'ailleurs! Dès lors, le lecteur sensible à la technique d'écriture n'a plus qu'une question: comment l'auteur va-t-il retomber sur ses pattes et proposer un roman noir crédible de bout en bout?
Et force est de le constater: "Sauf" apparaît globalement cohérent, même si le lecteur peut s'interroger parfois sur la crédibilité ou le réalisme de certaines solutions. Celles-ci constituent le fond de la deuxième partie d'un roman qui apparaît dès lors comme symétrique: on pose les questions dans la première partie, on y répond dans la deuxième – qui assume dès lors les couleurs d'une forme de désenchantement et arbore la couleur d'une descente de trip maîtrisée, conventionnelle même, après une montée folle. Il y aura les aveux de l'oncle de Mat, la vraie-fausse tombe de Mat, et le voyage en Norvège pour retrouver celle qui a amené l'album de photos de famille au dépôt-vente de Mat. Car, on s'en doute, ce n'était pas un hasard...
De la région parisienne jusqu'aux forêts de Norvège, "Sauf" balade ainsi son lecteur dans une aventure riche en surprises maîtrisée, rendant crédibles même les ressorts les plus incroyables – la fortune financière de certains personnages y contribuant beaucoup en leur conférant une marge de manœuvre de dingue, comme qui dirait. Revisitant toute la vie du personnage attachant de Mat, qui explore méthodiquement les faces sombres de ceux qu'il a cru être des parents normaux et aimants, l'écrivain offre avec "Sauf" un roman où la méfiance est de mise... y compris à l'égard de la vérité. Pour en savoir plus, il suffit de gratter... et ça vient tout seul: mêlant méthodiquement le vrai et le faux, "Sauf" se dévore, littéralement.
Hervé Commère, Sauf, Paris, Fleuve Noir, 2018.
Lu par Amnezik666, Anaïs Serial Lectrice, Aria & Books, Belette 2911, Carobookine, Clarabel, Delcyfaro, Emma, Erine6, Eve, Jean-Paul, Lettres & Caractères, Lilli, Lire au lit, Liseuse Hyper Fertile, Littérature et culture, Livres for fun, L'œil noir, Mylène, Nathalie Carnesse, Patricia Sanaoui, Riz-deux-ZzZ, Sélectrice, Serge Perraud, Sharon, Sonia, Sophy, Stef Eleane, Stelphique, Un brin de lecture, Yvan.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Allez-y, lâchez-vous!