Arnaud Dudek – J'ai donc lu, avec un plaisir que je n'ai pas boudé, "Laisser des traces". Paru lors de la rentrée littéraire d'hiver 2019, le sixième roman d'Arnaud Dudek situe son action au printemps 2020. Lu aujourd'hui, il donne aujourd'hui l'impression de se dérouler dans une réalité parallèle, miraculeusement épargnée par le covid-19. Ce qui n'enlève rien, oh non, à l'actualité des thèmes qu'il soulève!
Que nous dit-il aujourd'hui? En mettant en scène le maire d'une ville française moyenne (environ 60 000 habitants) nommé Maxime Ronet, l'auteur explore les états d'âme d'un homme jeune qui, pas toujours à l'aise avec les jeux d'appareil (son parti, le "Mouvement", peut faire penser à "En marche", et les allusions à l'actualité de la politique française sont nombreuses) et le contrôle de la communication, découvre qu'il a un cœur pour ses semblables et que c'est là que ça se joue. Et qu'apporter du bonheur à quelques-uns, c'est laisser une trace, tout autant que de donner son nom à une loi ou à un décret. Ou de se tatouer afin de "garder une trace" de tel ou tel événement marquant.
"Maxime" apparaît comme un prénom qu'il faut assumer, compte tenu de son étymologie: faut-il être le plus grand quand on s'appelle ainsi? L'auteur répond à la question en évoquant la jeunesse de Maxime Ronet. Porté par le maire d'une commune, le prénom apparaît comme un aptonyme: son étymologie résonne avec celle de "maire", qui renvoie au latin "major", qui suggère aussi une idée de grandeur supérieure.
Lorsqu'il s'agit de dire et de décrire, l'auteur favorise une focale proche, gage de réalisme ciblé pour son court roman, qu'il construit en chapitres courts qui sont autant d'instants dans la vie d'un maire. Le lecteur se trouve embarqué dans le maelström des rendez-vous chamboulés, des scandales qu'il faut gérer, des inaugurations au potentiel symbolique. Une petite vie, pourtant accaparante s'il en est.
Ce faisant, l'auteur interroge la tentation d'une approche managériale de la fonction, agitée à grands coups d'anglicismes (team building, p. 39; coworking, benchmarking, p. 52) et son risque de perdre en humanité – cette humanité pourtant toujours présente, qui permet de régler des problèmes citoyens concrets (un souci de carte scolaire ou une naturalisation bloquée par la lenteur de l'administration, par exemple) rapidement et simplement, quitte à friser le code. Mais la perdre de vue peut être fatal.
Au fil des pages se développe dès lors une réflexion sur le sens actuel de la fonction de maire en France, face aux autres lieux de pouvoir. Le pouvoir lié cette fonction est-il aujourd'hui réduit à des actes symboliques, pour ne pas dire anecdotiques? Plus délicat, le maire n'est-il rien d'autre que la figure histrionique mais finalement dérisoire d'un pouvoir exercé ailleurs de façon non démocratique? Là, on pense à l'idée de gouvernance développée par Guy Hermet dans "L'hiver de la démocratie". Ou à Hégésippe Simon, figure canularesque de la démocratie honorée à Poil.
Et c'est sur des accents étonnamment feel-good que l'écrivain achève son roman. Il y aura fallu une morte, Emma Nizan, une presque anonyme (mais pour être touché, tout est dans le presque, et l'auteur utilise adroitement ce personnage comme discret signal de fond, qui passe soudain au premier plan) dont le suicide joue le rôle de semonce pour Maxime Ronet, que le lecteur voit se faire bouffer. La poésie sera l'une des voies de son évolution, de son salut... et du basculement de "Laisser des traces" vers la lumière.
Sensible, l'écriture de "Laisser des traces" observe avec acuité l'action du maire Maxime Ronet. Elle excelle aussi à restituer mine de rien, avec un soupçon de recul ironique, les travers d'une classe moyenne actuelle, trendy et citadine par mimétisme. Il sera également question d'affaires de cœur, au travers d'Alice Larchet, cette assistante dévouée et émotive qui rougit souvent. Parce qu'en définitive, c'est toujours entre le cœur et la raison qu'il faut louvoyer, voire choisir.
Arnaud Dudek, Laisser des traces, Paris, Anne Carrière, 2019.
Le site d'Arnaud Dudek, celui des éditions Anne Carrière.
Lu par Aifelle, Caroline Doudet, Cathulu, Eirenamg, Lilylit, Nicole Grundlinger, Sabeli.
Intérêt et enthousiasme partagés, donc pour ce roman qui prend le temps de s'intéresser vraiment à ses personnages et à son sujet. Une jolie découverte pour moi (qui me donne envie de lire le prochain roman de l'auteur annoncé à la rentrée).
RépondreSupprimerMerci de votre commentaire!
SupprimerEn effet! J'ai aussi toujours eu plaisir à lire les romans d'Arnaud Dudek ces dernières années. Je vais donc guetter sa publication annoncée pour la rentrée.
Bonne fin de journée à vous!