mardi 12 avril 2022

Quatre générations à l'ombre d'Egon Schiele

Louise De Bergh – Quatre générations de femmes, soit tout un siècle, le vingtième, vécu au féminin entre Vienne, Paris, Katmandou et même les rives suisses du Léman. Dans son premier roman, "Hermès Baby", l'écrivaine Louise De Bergh dessine quatre portraits féminins extrêmement riches et divers. Si dissemblables qu'elles soient, Adèle, Dora, Elise et Françoise sont pourtant reliées entre elles par l'ombre portée de l'artiste autrichien Egon Schiele.

C'est en effet un siècle d'arts que l'auteure dessine, de même que le rapport que les artistes ont aux femmes. Ainsi, c'est d'Egon Schiele qu'Adèle devient le modèle, ce qui amorce une relation complexe, non exempte de sentiments passionnés, dans un monde où, pour une jeune femme, il n'est pas forcément évident de se profiler: celui de la Vienne d'avant-guerre, côté pauvreté. Cette destinée résonne avec celle de Françoise, qui boucle la boucle: elle aussi va vivre des relations amoureuses complexes avec le professeur qui l'a engagée comme modèle, et dessiner comme si une âme tierce avait pris le contrôle de ses mains.

Ou comme s'il fallait se libérer de quelque chose... ce quelque chose pourrait être inconsciemment à l'origine de la toxicomanie de la mère de Françoise, Elise, qui embarque le lecteur vers le Népal au mitan du vingtième siècle. Et puis il y a Dora, que l'auteure positionne comme une mémoire des personnages, alors même qu'elle est vue perdant la sienne: Dora garde tout, prend des notes dans son établissement médico-social, avec la complicité du personnel. Ces souvenirs qu'elle a envie de transmettre résonnent avec l'Hermès Baby d'Elise, une machine à écrire couleur menthe à l'eau, la même que Françoise Sagan.

Créer ou procréer? Cette tension est omniprésente dans "Hermès Baby", avec des femmes qui côtoient constamment le monde des arts, qui créent même, sous une inspiration emprisonnante que la promesse d'une ultime mise au monde pourrait évincer enfin. Quant à l'idée de donner le jour, elle dessine une lignée de femmes qui, au fil d'un siècle, se développe de manière quelque peu houleuse, marquée par des pères absents, que ce soit par vocation artistique ou du fait des méandres de l'histoire – on pense à Marcel, réquisitionné pour le STO et qui n'en reviendra pas indemne. Et par la vocation de Dora qui lègue tout, il est permis de considérer que la transmission est une manière de concilier les deux éléments.

Et c'est sur une manière de conjuration ultime que s'achève "Hermès Baby", un premier roman choral aux points de vue judicieusement variés, grave et généreux, qui traverse cent ans au féminin, de mère en fille, dessinant les nombreux rôles qu'une femme a pu jouer au fil des ans.

Louise De Bergh, Hermès Baby, Territet, Les Editions Romann, 2022.

Le blog de Louise De Bergh, site des éditions Romann.

Lu par Kymati.


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