jeudi 7 avril 2022

Bastien Roubaty: le cirque, un chapiteau pour la formation

Bastien Roubaty – Un tout petit monde, celui du cirque, avec ses roulottes et ses personnages hors norme: tel est le contexte du troisième roman de Bastien Roubaty, "Le garçon-léopard", paru tout dernièrement aux Presses littéraires de Fribourg. Le lecteur y retrouve la saveur à la Boris Vian qui a marqué "Les Caractères", son premier roman – cette fois au travers du regard d'un enfant, Bertil, le fils du comptable d'un cirque.

L'intrigue s'avère simple: l'espace de quelques mois, le comptable du cirque Van Ornum, également père du narrateur, est embarqué en tournée, le temps de travailler sur des comptes un peu limites. Son fils vient avec... L'auteur exagère pour le coup la rencontre entre deux univers perçus comme diamétralement différents: Bertil Montgomery porte la cravate, tout comme son père – symbole conventionnel s'il en est aux yeux du plus grand nombre. 

En face, l'écrivain place une équipe de cirque sans pareille, le plus souvent réjouissante, qui apparaît comme un abécédaire des corps humains extraordinaires. Il n'y a certes pas d'animaux (ou alors on se déguise, par exemple avec une chemise jaune à pois noirs), mais les humains qui affrontent la sciure du chapiteau chaque soir sont des plus divers: des sœurs jumelles nommées Aloé et Annie et qui sont en fait siamoises, une femme à barbe nommée Pascaline, une contorsionniste qui s'appelle Garance, sans oublier le colosse André, poseur d'affiches, capable de soulever à mains nues un baleineau de bonne taille. La directrice elle-même, avec son bras en verre, vit avec un corps hors norme. 

C'est dans ce monde on ne peut plus atypique que Bertil va vivre cet âge charnière où, comme garçon, on bascule de l'enfance à l'adolescence et où les filles, qui comme par hasard ont déjà l'air au courant, apparaissent soudain comme autre chose qu'un groupe qui n'aime pas jouer aux jeux de garçons dans la cour de récré. Les personnages féminins de Garance, la contorsionniste qui a son franc-parler, ou d'Ondine, habile en funambule mais encore innocente, jouent un rôle de révélatrices.

"Le garçon-léopard" apparaît dès lors comme un roman de formation dont le narrateur, Bertil justement, sort grandi: le lecteur le voit certes ballotté entre une famille compliquée (une petite sœur bizarre et une mère dépressive) et un milieu de vie atypique, mais il finira par le trouver parfaitement maître de ce qu'il fait, allant jusqu'à produire de son propre chef, engagé pour un stage de couture prometteur, une robe à deux encolures, loin des canons imposés. Ce sera pour Aloé et Annie, le lecteur le comprend... 

L'écriture du "Garçon-léopard" est en phase avec cette vision du monde un brin décalée, fantasmagorique tant qu'à dire, qui est celle d'un garçon, d'un enfant. On ne peut qu'en saluer, qu'en aimer même, le caractère joueur, qui recherche constamment des sens imprévus dans telle ou telle image, telle ou telle situation – par exemple en prenant au pied de la lettre les façons de parler qu'on comprend généralement de manière métaphorique. Ainsi, une simple attitude froide peut faire geler la limonade du personnage qui en tient un verre à la main. 

Roman jeune, "Le garçon-léopard" ne manque pas de clins d'œil aux écrivains de la génération de l'auteur. Le lecteur sourit ainsi à l'allusion faite à "Sucres" de Matthieu Corpataux, qui devient soudain "Sels" de Matthieu-Paul Pataud. Dans le même esprit, l'ombre d'Elisa Shua Dusapin passe aussi par là: c'est qu'on lit dans "Le garçon-léopard". Et qu'on écoute du jazz aussi, ce qui ne contribue pas peu à conférer à ce roman aux personnages étranges et féeriques une ambiance gentiment secouée, résolument décalée.

Bastien Roubaty, Le garçon-léopard, Fribourg, Presses littéraires de Fribourg, 2022.

Le site de Bastien Roubaty, celui des Presses littéraires de Fribourg.


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