Meliké Oymak – Style Photomaton, yeux collés déconcertants du modèle: d'accord, la couverture de ce roman n'a rien d'engageant. Mais "On n'abandonne pas ceux qu'on aime", deuxième opus de l'auteure Meliké Oymak, compte parmi les bijoux d'écriture que l'on découvre parfois, avec émerveillement, au fil des publications de ce temps.
Il y est question de la maladie d'Alzheimer, qui mine un homme, Monsieur B., et surtout un couple. C'est en effet Madame B., 74 ans, qui va occuper le devant de la scène, assez rapidement. Est-elle forcément en meilleure santé mentale que son mari? Simple et forte à la fois, l'intrigue suggère que non. Et ouvre la porte à une vision du monde poétique qui inclut, pour Madame B., un retour à la nature.
Poétique, l'écriture l'est assurément. Envoûtante, aussi. Elle se nourrit de ressassements qui, au fil des pages, finissent par créer un intense réseau de résonances. L'auteure amplifie ainsi les bribes de conscience de Monsieur B. en des dialogues improbables ou dans des séquences "Il ne faut pas" qui, avec leur caractère décalé, cruel sans s'en apercevoir, ponctuent le propos.
Ces résonances peuvent prendre une ampleur supérieure, en particulier lorsqu'il émerge le conte de Ludivine, soudain réaliste (Ludivine est d'ailleurs l'un des rares personnages portant un vrai nom dans ce roman) au milieu d'un texte qui fait la part belle à l'onirisme, qui met en scène une fillette qui s'enfuit de chez elle après avoir étouffé son petit frère.
Cette fuite annonce celle de Madame B., qui rejoint la forêt après avoir incendié son domicile et, ce faisant, sa vie – sa mémoire. Ainsi disparaissent, de concert mais par des moyens différents, la mémoire de Monsieur et Madame B., unis ou presque jusque dans leurs derniers jours. Unis? Par des scènes où les sentiments persistants le disputent à une forme d'impuissance fatiguée face à la démence, l'auteure décrit avec sensibilité les sentiments d'un vieux couple.
Un vieux couple qui semble renaître, presque par-delà la mort, au travers de la figure du loup, à la fois sociable et farouche: est-ce la réincarnation de Monsieur B.? Madame B. voudrait y croire, mais a-t-elle toute sa tête ou s'ouvre-t-elle un monde imaginaire à sa manière, dans les yeux d'une bête que l'auteure décrit comme plus aimable que ne le colporte la rumeur depuis les temps les plus anciens? Certes pragmatique au possible, le personnage du chasseur reste confondu, entretenant le doute dans l'esprit d'un récit fantastique.
L'envoûtement poétique naît également de l'important travail sur le rythme que l'écrivaine offre, ouvrant la porte à une scansion orale du texte, mais aussi au bonheur des yeux du lecteur solitaire. Les ponctuations sont finement disposées pour favoriser une lecture rapide au gré de l'effacement des virgules. Rapidité également dans certaines phrases courtes et fulgurantes, et dans les blancs typographiques qu'elles induisent au gré des retours à la ligne.
Et comme pour suggérer une connivence, l'auteure n'hésite pas à interpeller le lecteur et à le questionner, en une fausse simplicité, en le tutoyant comme une enfant, jusqu'à aboutir à l'idée de l'abandon portée par le titre – qui apparaît dès lors aussi comme la volonté que le lecteur n'abandonne pas sa lecture... – et à l'interrogation la plus familière, la plus courante et sympathique pour amorcer un dialogue, un contact, donc le contraire d'un abandon: "est-ce que tu vas bien?".
Meliké Oymak, On n'abandonne pas ceux qu'on aime, Genève, Cousu Mouche, 2021.
Le site des éditions Cousu Mouche.
Je me suis fait la réflexion en voyant la couverture : peut-être pas la meilleure façon d'attirer l'oeil...
RépondreSupprimerJe me le note grâce à ta chronique.
En effet, la couverture, hum hum. En revanche, oui, le texte est une merveille, à découvrir. Donc vas-y! :-)
SupprimerJe te souhaite une bonne journée.