Gabriel Malika – "Je ne savais pas trop dans quoi je m'embarquais", lit-on dans les toutes premières lignes du roman "Les meilleures intentions du monde" de Gabriel Malika, romancier qui a signé plusieurs opus de son vrai nom d'Olivier Auroy. Embarquer, le mot est juste: si ce livre, paru dans une première édition il y a dix ans, est "LE roman de Dubaï", selon "Le Mag du Golfe", c'est aussi un livre qui emporte son lecteur en croisière. Il le fait littéralement, en donnant la parole à quelques personnages représentatifs malgré eux de la vie à Dubaï et, plus largement, au Moyen-Orient.
La drague, un symbole
"Les meilleures intentions du monde" se présente comme un récit dont l'acteur principal est, peu ou prou, l'auteur lui-même – qui a vécu dans le coin et en restitue une image saisissante. Le premier chapitre, "Hawwa", prend ainsi le nom arabe de l'Eve biblique pour donner une première impression de la vie à Djeddah, marquée par l'illustration accrocheuse des méthodes de drague en vigueur lorsque les femmes portent des vêtements confessionnels si couvrants qu'ils ne laissent voir que leurs yeux, islam rigoriste oblige.
Résultat: ce sont les femmes qui matent ces hommes libres de se vêtir comme ils l'entendent, glissent leur numéro de téléphone à l'abri des regards de la police des mœurs et prennent ainsi, de façon plus ou moins fine ou lourde, l'initiative de l'approche. Voilà qui peut désarçonner un gars venu d'un pays, la France, où les codes sont différents. Pour le lecteur, c'est un avertissement: il est invité à entrer dans un monde dont les usages sont aux antipodes de ceux vécus dans le contexte occidental.
Montons à bord
La navigation en bateau apparaît indissociable du contexte de Dubaï, qui va constituer la part majeure du roman "Les meilleures intentions du monde". Le navire de croisière "Safineh", "le destin" en arabe, en est le vecteur, marqué par un destin contraire que le lecteur ne connaîtra qu'en fin de lecture. Un destin que plusieurs personnages vont évoquer, expatriés de loin ou de près: venus du monde entier, ils ont été tirés au sort pour une croisière d'exception.
Dès lors, l'écrivain évoque, chapitre après chapitre, les parcours – les destins, pour reprendre le nom arabe du navire – d'une poignée de personnages, élus pour participer à la croisière. Chaque chapitre se présente dès lors comme un témoignage sans fard. Si divers qu'ils soient, les profils sont convergents: on y trouve un Occidental qui s'alerte des risques des chantiers (les accidents maquillés en suicide sont légion) d'une ville qui veut se pousser du col, des ambitieux qui ont le sens du commerce, des femmes désireuses de vivre un destin plus libre, soit comme mannequins, soit comme épouses d'hommes riches, mais ce sera décevant. En arrière-plan, apparaissent les maids, ces femmes venues des Philippines ou d'ailleurs et qui s'occupent, quasi esclaves, du ménage – qu'il s'agisse, pour faire simple, des enfants de Madame ou de la voiture de Monsieur.
Par briques et morceaux, ces témoignages dessinent de façon inouïe ce que Dubaï peut être, au-delà des reportages fascinants qu'on voit à la télévision. On mégote sur la sécurité, on cherche des marges de manœuvre face à un islam théoriquement intransigeant (mais dont les gardiens, c'est-à-dire la mouttawa, sont considérés comme des minables). Dubaï, ville vue comme cosmopolite, est aussi considérée comme la ville de conflits culturels, vus au niveau de ces couples qui, construits sur la passion, finissent par devoir faire face à la réalité, aux caractères qui se frottent et ne sont pas toujours malléables.
Des individualités tirées au sort
Pour le sourire, le lecteur averti relèvera en page 162 une manière de caméo où l'Olivier Auroy onomaturge chef du très recommandable projet littéraire "Dicorona" pointe le bout de son nez pour inventer quelques mots afin de brocarder la police des mœurs: «"Nibarreurs, "nudilueur", "poitrinihiliste" ou plus simplement "sexterminateur", lui avait suggéré un copywriter de l'agence, une espèce de fou qui passait ses journées à inventer des mots qui n'existaient pas.»
Plus largement, dans un une dynamique discrète, l'humour apparaît comme la politesse du désespoir comme le carburant des espoirs dans "Les meilleures intentions du monde". C'est un roman qui laisse parler ses acteurs, sans jamais les juger, librement, pour le pire et le meilleur. Qu'ils s'appellent Sharon, Christophe, Saeed, Khalid, Toni, Ghamzeh, ou Samana, tous tirés au sort lors d'un concours organisé par un supermarché dirigé par le magnat Khalid Al Firas, ils évoquent "leur" Dubaï et leur parcours, fait de défis dans un monde qui défie la mentalité occidentale sans perdre en cohérence, ou si peu.
Mais Dubaï, ville de tous les excès, ville défi qui ambitionne d'être la huitième merveille du monde, indissociable de la mer (d'où les motifs du bateau et de la croisière) a-t-elle une âme susceptible de la pérenniser? La question traverse "Les meilleures intentions du monde" sans trouver de réponse. Elle est gage, peut-être, de l'idée qu'entre occidentalisme et multiculturalisme conditionné par l'islam, Dubaï recherche encore sa voie, résolument. Sera-t-elle originale, unique, synthétique? L'avenir le dira. A moins que les éléments ne se déchaînent.
Gabriel Malika, Les meilleures intentions du monde, Paris, Intervalles, 2021.
Lu par Yves Mabon.
Le site d'Olivier Auroy/Gabriel Maliki, celui des éditions Intervalles.
Coucou, je t'avoue que les histoires se passant à Dubaï ne m'attirent pas en général mais je me note ce livre car... tu en parles bien.
RépondreSupprimerCoucou Gaëtane, merci pour ton commentaire et pour ton compliment, c'est sympa de ta part! :-)
Supprimer"Les meilleures intentions du monde" vaut la peine d'être lu, c'est un livre plein d'histoires mettant en scène des gens "ordinaires" vivant à Dubaï. J'ai découvert un monde ainsi.
Bonne fin d'après-midi à toi!