Yan Walther – "Win-win (nos armes)", tout est dans ce titre emprunté au monde du business contemporain: la négociation, vue comme une manière d'atteindre une situation satisfaisante pour tout le monde, est le fil conducteur de la pièce de théâtre que l'auteur romand Yan Walther a écrite pour quatre acteurs, trois hommes et une femme.
La lecture de la pièce fait travailler l'imagination. Tout commence avec une réunion dans une salle d'aéroport impersonnelle où se rencontrent des gens d'affaires chinois et suisses. Une négociation, ça se prépare – c'est comme un lever de rideau au théâtre, et la scène 2 a des allures de visite en coulisse, ces coulisses où s'apprêtent les acteurs. Elle fait suite à une scène 1 volontairement mystérieuse, presque transcendante, où s'exprime un "Grand Négociateur" qu'on imagine divin.
Venons-en au concret: cette négociation autour d'un produit indéfini mais susceptible d'être à usage militaire ou civil est l'une des pistes de la pièce. Il y en a d'autres: soudain apparaît, en contrepoint au business le plus moderne, les personnages intemporels de Schéhérazade et de son mari le sultan. Le dramaturge revisite leur relation existentielle à l'aune de la négociation: Schéhérazade accepte la règle du jeu et monte un feuilleton pour survivre. Ce feuilleton permet de développer une histoire enchâssée, celle de cet homme qui trébuche sur Fyodor, un mendiant plein de ressources.
On pourrait encore parler de la scène du "Truel", drôle et déjantée, où la négociation existentielle entre la cliente d'un supermarché, le caissier et l'agent de sécurité prend la forme d'une scène à la Sergio Leone refaite à plus d'une reprise. Laquelle est la plus véridique, qui tue qui? Il y a aussi les amours, qu'on croirait absolues mais qui sont dès le départ l'objet de négociations, de marchandages: "On nique... au jardin botanique!" – mais de nuit, à l'abri des regards du public, ou de jour? Petit délice supplémentaire pour le spectateur, sans doute: on imagine la comédienne faisant claquer ses rimes en "-ique". Et le contrat de mariage? Permis de négocier – et de déconstruire face au curé ce que chacun des conjoints place dans la "balance".
Vu comme ça, il est permis de penser que "Win-win (nos armes)" est une pièce ample et foisonnante. Qu'on se détrompe: le dispositif se démarque par son efficacité et son économie. Si nombreux que soient les rôles, en effet, ceux-ci sont tenus par quatre personnes, une femme et trois hommes. Le lecteur ne peut qu'imaginer par quels tours de passe-passe la mise en scène assure les glissements d'un personnage à l'autre, qui fait de chaque personne sur scène un transformiste – la comédienne, par exemple, est tour à tour (liste non exhaustive) une froide négociatrice chinoise, Schéhérazade des Mille et une nuits ou une cliente de supermarché. Cela, sans oublier les décors...
Quant à la pièce elle-même, elle tient sur moins de cent pages. Le dramaturge cisèle ainsi des scènes courtes où s'échangent des répliques efficaces, courtes autant que possible, longues uniquement si c'est vraiment nécessaire. Elles peuvent s'avérer interchangeables, en particulier dans le final (scène 33), où chaque comédien est invité à dire une phrase, à tour de rôle, de façon parfaitement aléatoire. Quant à la cohérence entre les différents univers développés, elle se dessine peu à peu au fil de motifs récurrents – le plus marqué et constant étant celui de la négociation, mais il n'est pas le seul.
Il sera en effet question aussi de virus et d'antidotes, d'armements même, pour dire que tout est politique. Reste que "Win-win (nos armes)" est une pièce dense qui réussit à évoquer plein de questions dans un environnent réduit. Gageons que cette courte pièce a dû résonner dans toute son ampleur lors de sa première aux Pulloff Théâtres, le 25 septembre 2021.
Yan Walther, Win-win (nos armes), Lausanne, BSN Press, 2021.
Le site de BSN Press.
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