Raphaël Guillet – Que ne ferait-on pas pour avoir un peu de silence et de calme autour de soi? Serait-on même prêt à tuer? En mettant en scène un personnage misophone dans "Doux comme le silence", l'écrivain Raphaël Guillet s'invite dans le genre du roman policier avec un texte d'une grande originalité.
Et face à une série d'assassinats perpétrés apparemment au hasard, la jeune inspectrice Alice Ginier aura fort à faire pour ses débuts à la police cantonale vaudoise. Le lecteur suit donc ses doutes, ses avancées, ses réflexions, au fil de chapitres courts et accrocheurs qui impriment un rythme alerte au récit. Voilà qui n'est pas évident: hors norme, l'enquête semble longtemps piétiner. Et l'auteur ne manque pas, fort justement, de relever la pression de la presse, au travers du journal "24 heures" et de sa fort culottée rédactrice, Noémie Clément.
Longtemps, en effet, le lecteur est seul à connaître le nom du coupable, Victor Morand, que l'auteur montre en action en alternance avec les avancées de la police. Pour la police, et pour reprendre les mots de l'écrivain Phil Marso (par ailleurs inventeur de la Journée mondiale sans portable, fixée au 6 février), c'est un "tueur de portable sans mobile apparent": qu'une personne gueule dans son smartphone à proximité, ou qu'il fasse simplement un bruit qui l'incommode (parmi ses victimes, il y a un chien), et c'est pan-pan!
Même le guet, homme emblématique de la cathédrale de Lausanne, chargé de clamer les heures à la cantonade, passe à la moulinette. Ce n'est là qu'un des nombreux marqueurs de l'option terroir qu'a choisie l'écrivain: de Lausanne, il dit les quartiers, les cafés, le métro et ses deux lignes. Cela, sans compter tel bateau historique naviguant sur le Léman, et où l'intrigue trouvera son dénouement sanglant – ni les environnements campagnards hors de Lausanne, tels que la dent de Jaman, qui font contrepoint. Pour accrocher, c'est classique et rassurant comme procédé: le lecteur se plaît à retrouver des lieux familiers. En l'espèce, il se surprend même à "googler" les noms des petits vins dégustés par ses personnages, pour voir jusqu'où va le réalisme de l'écrivain. Donc oui: le "Blanc de filles" de la cave Wannaz est un assemblage qui existe vraiment et paraît bien attrayant.
En mettant en scène un misophone maniaque à l'extrême, tueur en série d'un genre nouveau, littéralement allergique aux téléphone portable, l'auteur ne se contente pas de dessiner un personnage de méchant fort original. Il va plus loin: en observant le rapport qu'ont chacun de ses personnages avec leur smartphone (et Dieu sait qu'il est précieux dans le travail du personnel de la police!), il amorce chez le lecteur une réflexion sur l'utilisation qu'il fait de cet appareil. Est-elle excessive, est-elle gênante pour d'autres – et ces autres pourraient-ils avoir envie de tuer pour avoir la paix?
Raphaël Guillet, Doux comme le silence, Lausanne, Favre, 2021.
Le site des éditions Favre.
Un article de L'Express sur la misophonie, par Audrey Renault.
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