Enzo Traverso – Pourquoi la violence nazie? Dans son court essai "La violence nazie, une généalogie européenne", le politologue Enzo Traverso décrit les raisons historiques, les origines du génocide nazi, ainsi que son caractère exceptionnel, non seulement dans son ampleur, mais aussi dans sa manière.
Pour ce faire, en préambule, l'auteur indique qu'il entend dépasser, tout en en tenant compte, les travaux qu'ont menés, sur le même thème, trois autres chercheurs. Il y a là François Furet, qui voit le génocide comme un moment de la démocratie libérale. Il y a aussi Ernst Nolte, qui lit le nazisme comme une opposition au bolchévisme. Et il y a Daniel Jonah Goldhagen, qui y voit l'aboutissement d'un antisémitisme spécifique au peuple allemand.
Ce que la lecture historique d'Enzo Traverso apporte dès lors, c'est l'inscription du judéocide dans quelque chose de plus grand que l'Allemagne, et qui est l'histoire spécifique du monde occidental, depuis la Révolution française. Ou, plus précisément, depuis un objet qui lui est associé: la guillotine. Un appareil de mise à mort industrielle, qui remplace l'art du bourreau maniant la hache et met une distance entre ce dernier et le fait de donner la mort.
L'auteur dessine (et l'on repense à "10 CV" d'Ilya Ehrenbourg) dès lors l'évolution de l'industrialisation en Europe et en Amérique du Nord et conclut en indiquant que le système des camps de la mort est une industrie à produire des morts. Cela, comme une chaîne de production automobile sert à produire des voitures, avec des personnes déshumanisées, éloignées de l'acte dans son ensemble au fil d'un processus dissocié en de nombreuses phases.
Il est également question de conquête, de colonialisme et d'impérialisme dans "La violence nazie", qui démonte les mécanismes violents développés en Europe occidentale, à base de darwinisme social entre autres: l'idée est que si un peuple est dominé, il est immanquablement appelé à disparaître – et l'auteur analyse longuement les effets délétères d'un tel principe. L'idée de colonialisme est aussi rapprochée de celle, typiquement nazie, de Lebensraum. Enfin, l'auteur démontre aussi les arcanes du racisme scientifique des temps qui ont précédé le nazisme, et qui ne peuvent que paraître insupportables à l'observateur d'aujourd'hui.
Enfin, c'est autour des stéréotypes associés aux Juifs que l'auteur conclut son propos: gens des villes, ils sont volontiers perçus comme excessivement cérébraux, calculateurs et dépourvus de passion. C'est sur ce terreau, aussi, que va prospérer la haine qui va permettre la réalisation de la Solution finale.
On pourrait certes objecter à l'auteur que l'impérialisme n'est pas le propre de l'Europe occidentale, que son tableau est sombre. Plutôt que de pointer des défauts et tendances qui ne sont effectivement pas propres à l'Occident, l'idée, originale et judicieuse, du politologue auteur de "La violence nazie" est plutôt d'analyser comment leur conjonction, à un moment donné de l'Histoire et à l'échelle d'un pays mais aussi d'un continent, a abouti à un système exceptionnellement horrible de taylorisation de la mort.
Enzo Traverso, La violence nazie, une généalogie européenne, Paris, La Fabrique, 2002.
Le site des éditions La Fabrique.
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