David Desgouilles – Du deuxième septennat de François Mitterrand à l'élection d'Emmanuel Macron, c'est presque trente ans de politique française que l'écrivain et journaliste David Desgouilles couvre dans sa vaste fresque romanesque "Leurs guerres perdues". Toute une génération! Si le fond est réel, l'auteur donne corps à cette génération par une poignée de personnages fictifs, nés dans les années 1970 et tous tombés dans le militantisme politique à l'adolescence, temps des idées passionnées.
Réel, le fond? C'est peu de le dire: tout comme il a su le faire dans "Le bruit de la douche", son premier roman, l'auteur excelle à recréer avec minutie, en connaisseur, les jeux d'appareils des partis politiques français, à tous les niveaux. Tel congrès sera ainsi cité, tel discours, qu'il soit d'envergure nationale ou d'audience départementale, voire locale. Il restitue aussi la plasticité des mouvements au gré des vents, dessinant les recompositions du paysage politique. Cela, en opposant à l'occasion le militantisme dans un grand parti de gouvernement et l'action au sein de groupes de moindre envergure, à l'instar de celui qui se constitue autour de Nicolas Dupont-Aignan.
Le roman fonctionne-t-il selon une alternance gauche-droite? Pas tout à fait. Si le clivage traditionnel est bien entendu présent, l'auteur préfère mettre en avant une autre ligne de fracture: l'européisme contre le souverainisme. Dès lors, le roman prend la forme de l'échec persistant d'une recherche d'alliance entre souverainistes "des deux rives", marqués par les figures tutélaires de Philippe Séguin et Jean-Pierre Chevènement. Cela, malgré quelques moments clés: le référendum sur le traité de Maastricht (1992), celui de 2005 sur le Traité constitutionnel européen, puis le traité de Lisbonne (2007).
C'est là qu'interviennent les personnages fictifs que l'auteur anime sur cette vaste trame. Il y a ceux dont la sensibilité est à gauche, à savoir les frères Simonetti, Nicolas le discret et Sébastien le queutard; et à droite, se profile Sandrine Deprayssac, moteur du roman, personnage féminin marquant par son franc-parler. Quelques autres gravitent autour d'eux, par exemple Anne-Sophie Myotte, qui reprend du service après avoir joué le rôle de conseillère de DSK dans "Le bruit de la douche". Le lecteur la reconnaît: c'est toujours la même, talentueuse et peu portée sur la bagatelle.
Oui, car il y a aura aussi de la passion et des coucheries dans ce roman: on s'aime, on se rejette, on se reprend, on regrette, on fait des enfants, on recompose des familles. Rien de voyeur ni de gratuit là-dedans! Certes, on peut voir, de manière classique, dans l'acte sexuel une acte de puissance de part et d'autre, une façon de marquer le territoire – "Sexus Politicus", comme l'écrivaient les journalistes Christophe Dubois et Christophe Deloire. Mais dans le contexte de "Leurs guerres perdues", la fluidité de ces relations interpersonnelles, faites de fidélités rompues et d'infidélités assumées, est plutôt le reflet, au niveau individuel, du remodelage constant du paysage politique français. Amour et politique? Passions que tout cela!
Certes, "Leurs guerres perdues" est un gros livre. C'est aussi le plus ambitieux des romans de David Desgouilles. Pourtant, il n'est jamais ennuyeux. C'est qu'il s'agit d'être rapide: en une dizaine de pages, l'auteur relate par touches les points les plus importants de chaque année, de 1988 à 2017. Fluide, l'écriture sait aussi s'amuser avec les tics des journalistes, citant quelques petites phrases et petits surnoms tout en allant constamment à l'essentiel pour composer un roman politique total dont les pages se tournent toutes seules.
David Desgouilles, Leurs guerres perdues, Monaco, Editions du Rocher, 2019.
Le site des Editions du Rocher.
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