Julie Andrade et Audrey Zeilas – "Les villes émotionnelles" est un beau livre au sens fort, mariant avec bonheur l'image et le texte. Les architectes et auteures Julie Andrade et Audrey Zeilas y développent, dans un esprit utopique et pointilliste, quelques aspects de ce que pourrait être la ville d'après-demain.
On aime toucher le papier du livre, on en apprécie aussi sa couleur chamois, discrètement marbrée. L'observateur aimera les images, astucieusement conçues par des auteures soucieuses d'une épatante diversité – qu'on retrouve dans la mise en page, aussi variée que les propos le sont.
Ce propos, c'est tantôt un manifeste, tantôt des informations plutôt cérébrales sur le fonctionnement émotionnel des humains. Il y a aussi de la poésie, des documents et souvenirs fictifs venus d'époques légèrement ultérieures à la nôtre, considérée comme l'ère "rationnelle", opposée à l'ère dite "émotionnelle" qui suivra.
Les mots eux-mêmes revêtent les atours de fontes variées, suggérant tantôt une machine à écrire, tantôt un guide touristique avec des symboles récurrents pour que l'utilisateur s'y retrouve. L'écriture manuscrite a aussi sa place, par le biais de lettres ou de signatures.
Côté textes justement, le lecteur est appâté par ce fragment qui commence par "Il s'était perdu..." et qui représente les méandres des émotions comme une flânerie en une ville dont les rues seraient nommées en fonction des sentiments. Qu'on s'y perde ou non, la flânerie a une place à part entière dans "Les villes émotionnelles", au travers d'un guide plutôt décalé et amusant sur cet art.
Les émotions négatives sont aussi présentes, au travers d'idées qui pourraient faire de l'utopie des villes émotionnelles un lieu plutôt désagréable. Il y a par exemple cette difficile réflexion sur la taille des fenêtres d'une entreprise, dépendant de l'efficacité du personnel au travail, ou l'envie de créer une nouvelle forme de calendrier, reflet des âges de la vie, voire de monétiser l'émotion.
Plusieurs idées font aussi appel au numérique (puces de mémoire, que les personnes portent et qu'on retire après leur décès pour constituer une archive) ou témoignent, à l'instar des bulles d'émotion, d'un individualisme radical. Enfin, il y a cette très déstabilisante vision d'artiste de la "cellule de la solitude", cube de verre conçu pour isoler des criminels incarcérés dans une sensation de malaise maximale.
C'est en définitive un patchwork tantôt drôle, tantôt rêveur, tantôt dérangeant, toujours dépourvu de contraintes, que les auteures proposent avec "Les villes émotionnelles". Chacun y trouvera de quoi imaginer sa propre ville émotionnelle – et du reste, l'ouvrage invite expressément le lectorat à partager sa vision. Cela, tout en étant conscient, et les auteures le sont lorsqu'on lit l'éditorial critique d'Archivice (p. 110, signé Julia Andradou), que les villes les plus émotionnelles sont peut-être celles dans lesquelles nous vivons et qui, dans leur neutralité, qui laissent les sensations se développer librement en chacun de nous.
Julie Andrade et Audrey Zeilas, Les villes émotionnelles, Paris, Intervalles, 2021.
Le site des éditions Intervalles, celui des Emotionnautes (site participatif des porteuses du projet).
Une lecture atypique qui pourrait me plaire, tant il est facile de se perdre dans les émotions.
RépondreSupprimerEn effet - et de se perdre en ville aussi. L'ouvrage est une belle balade, mais c'est aussi le début d'autre chose, d'une réflexion.
SupprimerBonne fin d'après-midi à toi!