samedi 12 juin 2021

Celia Izoard: et voilà qu'on reparle de la déesse bagnole... et des dieux robots

Celia Izoard – Ce sont les véhicules autonomes qui occupent une bonne part de "Merci de changer de métier", ouvrage critique de la technologie moderne signée Celia Izoard. Une auteure qui avait contribué à l'ouvrage "La tyrannie technologique" et dont on retrouve ici l'argumentation méthodique et l'écriture claire. 

La forme de "Merci de changer de métier", avant tout, est originale. Ce petit livre réunit en effet trois lettres adressées à des ingénieurs spécialisés en robotique – ces "humains qui robotisent le monde", dit le sous-titre –, un entretien avec un ancien ingénieur reconverti et une lettre ancienne (1949) d'un Américain, Norbert Wiener, alertant un syndicat des dangers de la robotisation en usine. 

Les trois lettres aux ingénieurs sont une réponse à des arguments développés par ses interlocuteurs. Cela, selon le principe: "J'écoute vos arguments aujourd'hui et je vous donnerai les miens à travers une lettre."

Comme dit, c'est le véhicule autonome qui fait l'ouverture de l'ouvrage, à travers une lettre qui, adressée "aux ingénieurs du véhicule autonome", amène au débat des arguments originaux, peu entendus du côté de ceux qui pour ainsi dire vénèrent ce type de mobilité, synonyme entre autres pour eux de mobilité verte. Vraiment?

L'argument écologique est démonté, entre autres par le biais de la mention de la complexité de systèmes exigeant des centres de calcul immenses qui contribuent au changement climatique et l'utilisation de matériaux rares dont l'extraction est dommageable pour l'environnement. Cela, sans oublier la question du recyclage des véhicules, extrêmement complexe ou la fabrication d'une surmobilité due à son apparente gratuité.

L'analyste convoque aussi largement l'argument humain, au travers de la mise au chômage d'individus, chauffeurs de taxi ou de transports publics. Tout cela, pour un côté gadget que l'auteure relève aussi: est-il nécessaire de dépenser autant d'énergie et de ressources pour un tel projet pour amuser quelques personnes, ou pour des bus rikiki? Et les économies de salaire du chauffeur ne sont-elles pas rattrapées par d'autres frais, autrement plus élevés selon elle – et singulièrement pour les collectivités – tels que la recherche, la maintenance ou le traitement des données?

Mais la majorité des gens, veut-elle de tels objets? Au travers des recherches autour des robots humanoïdes destinés entre autres aux soins aux personnes âgées, l'auteure suggère une réponse négative. Elle convoque des arguments pratiques tels que les mises à jour, complexes pour de tels publics, et les utilise comme exemples pour indiquer que de tels appareils restreignent en fait les libertés des humains. Sans oublier l'appauvrissement des relations humaines, bien entendu.

Enfin, toujours soucieuse de l'humanité, l'auteure dénonce la dégradation des conditions de travail de certaines personnes. Une dégradation contre laquelle personne ne fait rien... si ce n'est développer des robots. Ce qui créera du chômage, alors que si ingrats ou difficiles que soient certains métiers, ils sont nécessaires à la vie de ceux qui les exercent, parfois avec fierté à l'instar des chauffeurs d'autobus. L'auteure dénonce dès lors l'aveuglement, voire le cynisme du monde de la robotique face à de telles tendances.

L'essayiste présente également des solutions low-tech qui ont trouvé leur utilité à des niveaux locaux, tels que les bus scolaires à pédales ou les vélo-voitures à assistance électrique. Elle fait aussi entrer le lecteur dans l'esprit d'un "repenti", Olivier Lefebvre, qui a décidé de vivre en accord avec ses valeurs et de quitter le métier de la robotique, qu'il juge hypocrite. 

Le lecteur retrouve ici au fil des pages certains des arguments développés dans "La tyrannie technologique" pour d'autres types d'appareils, en particulier les téléphones portables. Sous un titre radical et provocateur, l'argumentation de "Merci de changer de métier", qui s'inspire entre autres du luddisme, est ainsi propre à faire réfléchir sur ces avancées technologiques qu'on présente un peu trop facilement comme de pures merveilles.

Celia Izoard, Merci de changer de métier, Montreuil-sous-Bois, Editions de la Dernière Lettre, 2020. Préface de Mathieu Brier.

Les site des Editions de la Dernière Lettre, celui d'Olivier Lefebvre.

Lu par Artemix NemauIrénée Regnaud, Nicolas Falempin.


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