vendredi 18 septembre 2020

Marie Javet et ces roses qu'il tue

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Marie Javet – "Les ennuis commencèrent à l'aéroport": voilà un incipit qui introduit immédiatement une ambiance inquiétante. Ajoutons-y une couverture noire où se dessine une rose habillée de rouge et de bleu et nous avons un thriller costaud: "Les roses sauvages" de Marie Javet.

Au cœur de ce roman, se trouve le personnage complexe de Ian, manipulateur, narcissique, assassin à l'occasion. C'est une figure étincelante que l'auteure travaille à fond. Ce n'est pas un hasard si son destin occupe toute la seconde partie, partie médiane, la plus longue aussi, des "Roses sauvages". Tout y passe, selon un jeu de tensions classique et rigoureux: une enfance torturée, la découverte de certaines capacités terribles, et le besoin de s'en servir pour sentir qu'on a prise sur le monde.

Que ne ferait-on pas pour se venger de s'appeler John Little, voire "Little Dick"! La fierté virile en prend un coup... Terrible bonhomme que Ian, donc, un personnage intelligent, qui jongle avec les identités (John ou Ian? Ou Arthur?) et réussit un doctorat tout en étant sévèrement dyslexique, quitte à tricher! L'auteure l'observe à la troisième personne, ce qui induit une forme de distance qui le rend d'autant plus glaçant et entrave l'empathie. Et si les cigarettes russes colorées "Sobranie" qu'il fume lui donnent une spécificité par la grâce d'une habitude venue du froid, elles ne le rendent pas plus sympathique.

Cette prise de distance fait contraste avec la troisième partie, celle qui se met à la place d'Emilie, sœur de Sarah, qui est l'une des victimes suisses de Ian. Ce point de vue subjectif, introspectif par moments, permet au lecteur de se défouler avec Emilie à l'encontre d'un Ian perçu comme détestable et sans scrupule; il lui impose aussi de prendre place au cœur de l'action, qui devient décisive. Plus généralement, cette troisième partie apporte les dernières réponses à des questions posées en amont, par exemple concernant l'identité d'une certaine Elisa Day.

Elle contraste aussi avec une première partie relatée à la troisième personne, mais centrée autour du personnage de Sarah, post-adolescente suisse partie en stage linguistique du côté de Cambridge. C'est dans cette première partie que l'auteure impose un jeu virtuose sur les différents points de vue portés sur un personnage dysfonctionnel par celles et ceux qui l'ont côtoyés. S'installe ainsi le jeu des entretiens et des coupures de presse, qui apportent leur lot d'informations incidentes... et ne sont pas toujours ce qu'ils paraissent être, même si les personnages qui s'y expriment sont sincères.

"Les roses sauvages" doit aussi son titre au leitmotiv des fleurs. C'est un fétiche de Ian, bien sûr, et ses proies féminines sont pour lui autant de fleurs. Mais c'est aussi un motif littéraire qui apparaît sous les formes les plus diverses, entre autres avec la citation du célèbre poème de Ronsard. Surtout, tout commence par une légende amérindienne qui indique pourquoi les roses ont des épines: c'est pour se défendre. Elle est importante, cette légende: elle apparaît deux fois dans le roman. La première fois en prologue, et il est permis de se demander ce qu'elle fait là. La deuxième fois, c'est au début de la troisième partie. Et le lecteur comprend mieux: les roses savent se défendre, et "Les roses sauvages" le démontre.

"Les roses sauvages" est un roman rythmé et haletant centré autour d'un personnage d'assassin manipulateur creusé à fond. La ronde de ses victimes, mortes ou blessées à vie, n'est pas en reste, à l'instar de cette Joséphine qui garde les cicatrices de sa rencontre avec Ian. Le sang peut couler, mais les roses ont des épines. Et celles-ci finissent par blesser à leur tour. Décliné en chapitres à la fois courts, rapides et creusés, rythmé par les citations rock'n'roll et les références à la littérature anglaise, en particulier le "Paradis perdu" de Milton, ce thriller construit avec talent entre la Suisse et l'Angleterre s'avère des plus captivants.

Marie Javet, Les roses sauvages, Lausanne, Plaisir de lire, 2020.

Le site de Marie Javet, celui des éditions Plaisir de lire.

2 commentaires:

  1. Je ne connais pas tout et ça pourrait bien me plaire.
    J'aime beaucoup aussi la couverture.
    Merci pour cette découverte, je le note !
    Bon dimanche !

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    Réponses
    1. En effet, la couverture est belle! Et c'est un roman à découvrir, le deuxième de l'auteure.
      Bonne semaine à toi!

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