vendredi 10 juillet 2020

Amoureux en Ecosse, malgré les zombies

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Maryline Guldin – Voici de jeunes gens. Un gars, une fille. Ils se font un trip en Ecosse. Pour elle – elle s'appelle Kate – ça sent la demande en mariage, de la part de Patrick. Elle s'en réjouit. Mais tout ne va pas se passer comme prévu. C'est sur cette base que débute "Terres de brume", premier roman de Maryline Guldin.


Le début est classique, mais il fonctionne: le couple sillonne les routes d'Ecosse en voiture et, compte tenu des conditions météorologiques, choisit de bifurquer. Bifurquer, c'est entrer dans un monde alternatif... en l'occurrence celui des zombies, donc celui des morts vivants, hostiles et évoluant selon leurs règles à eux. 

Avant d'entrer dans le vif du sujet, il est intéressant de relever la symbolique de la voiture, lieu d'intimité symbolique puisqu'on y est à deux – une voiture sous l'orage, c'est déjà le début du film "The Rocky Horror Picture Show". En matière de voitures, d'ailleurs, disons-le d'emblée, "Terres de brume" débute sur une incohérence: alors que la première phrase du roman mentionne une "petite Citroën", il est question plus bas d'une DS – qui est justement un modèle de ministre qui voit grand. Or, la Citroën joue vaillamment son petit rôle: le lecteur doit-il la voir en grand ou en petit?

Adoptant le point de vue de ses deux personnages, l'auteure fait découvrir peu à peu l'univers hostile et délirant dans lequel Kate et Patrick ont mis les pieds. Il y a du sens de l'observation là-dessous: un regard dans le miroir d'une réception d'hôtel suffit à faire voir que le réceptionniste a un problème. Et surtout, il y a ce personnage ambigu de Tomatin, qui héberge le couple. Mais est-il digne de confiance? Et que vaut ce talisman que Patrick jette par la fenêtre en pleine tempête? Car, oui, l'auteure sait mobiliser les éléments pour donner un tour inquiétant à l'ambiance de "Terres de brume".

Les orages sont une chose, mais l'auteure s'offre surtout le luxe d'une liberté temporelle insolente en donnant aux zombies de son roman le pouvoir de décréter de façon aléatoire qu'il fait jour ou nuit. L'explication rationnelle peut être trouvée dans l'idée que certains orages donnent une véritable impression de nuit en plein jour. Mais la narration, d'inspiration fantastique, suggère plutôt une prise de pouvoir dont les vivants sont les victimes, condamnées qu'elles sont à vivre avec des horaires impossibles, tout en sachant que les zombies sont affaiblis par la lumière du jour.

La temporalité est d'autant plus libre lorsque deux personnages, Patrick et un moine, Basile, se retrouvent contraints de traduire un bout de bible en quatre heures – pas facile, et l'auteure suggère qu'ils travaillent quand même assez vite, comme si leur temps s'était dilaté. De plus, l'auteure convoque pour son intrigue le Livre de Kells, célèbre manuscrit historique, auquel il manque la fin de l'évangile selon Saint Jean. Ce morceau manquant est l'une des clés du roman. L'auteure suggère les interrogations des traducteurs en herbe, sans pour autant noyer ses lecteurs dans des considérations théologiques sans fin, d'autant plus qu'en fait, il y a autre chose. Cela dit, la pensée catholique imprègne "Terres de brume", offrant de multiples pistes de lecture.

La romancière confère un supplément de sympathie à ses personnages en les présentant comme des élus: Patrick apparaît comme un initié capable de faire les bons choix, et Kate paraît capable de dompter un cheval fantasmagorique – de loin, on pense à "Der Schimmelreiter" (1888), roman de Theodor Storm mettant en scène un chevalier fantomatique, dans la plus pure veine du romantisme fantastique. Reste que l'auteure mobilise surtout des références proches des légendes écossaises, qui pourraient aussi bien être la réalité. Une incertitude qui est à la base du genre fantastique...

L'issue du roman est bien rationnelle, et permet aux deux personnes de se retrouver plus proches qu'avant leur voyage dans les terres sauvages de l'île écossaise d'Iona. Une île à laquelle l'auteure a conféré un bout de légende, dans une écriture aisée et fluide qui plonge son propos dans le monde des légendes et de la religion catholique – selon les ressorts classiques des vieilles pierres (une église) et des vieux manuscrits. Et surtout dans l'amour, ni ancestral ni moderne, simplement mis à l'épreuve des tempêtes de l'atmosphère, qui ne sont rien d'autre que l'image des tempêtes à venir de la vie des deux conjoints appelés à vivre ensemble sous les liens du mariage.

Maryline Guldin, Terres de Brume, Yutz, Rroyzz, 2018.

Le site de Maryline Guldin, celui des éditions Rroyzz.

4 commentaires:

  1. Un tout grand merci pour cette magnifique présentation de mon roman.

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    1. Avec plaisir! Encore merci pour les heures de lecture.
      Bonne semaine à vous!

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