lundi 29 juin 2020

Ils ont les moyens de vous faire parler: l'art des interrogatoires et auditions

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Olivier Guéniat et Fabio Benoit – Interrogatoires, auditions: ces moments sont indissociables de toute enquête policière. À l'heure où la police est devenue une discipline scientifique, hautement professionnalisée, le flair de l'enquêteur ne suffit plus pour faire parler de manière aussi utile que possible les différents protagonistes d'une enquête policière. Partant du constat d'un manque dans la littérature, les spécialistes Olivier Guéniat et Fabio Benoit ont décidé d'élaborer l'étude "Les secrets des interrogatoires et des auditions de police". Il s'agit d'une brillante synthèse qui s'adresse certes aux hommes et femmes de police, mais aussi à toute personne qui, un jour, devra mener des entretiens en tête à tête, même hors du contexte policier. J'ajoute qu'un tel traité a même sa place dans la bibliothèque de tout auteur de romans policiers qui se respecte.


L'approche s'avère concentrique, partant de généralités qu'on pourrait croire bien connues pour arriver à des points très précis où les mots ont tous un sens. Après avoir distingué interrogatoire (avec les suspects et les témoins) et audition (avec les victimes et les plaignants), les auteurs dessinent le cadre à privilégier pour un entretien entre l'enquêteur et les personnes impliquées dans une affaire policière: il convient qu'il soit aussi sobre que possible, pour favoriser la concentration et la création d'un rapport de confiance fécond entre l'enquêteur et la personne interrogée. Il est aussi question de l'art de disposer les différents acteurs d'un interrogatoire ou d'une audition: enquêteur, personne interrogée, mais aussi avocat et interprète, puisque le code de procédure suisse prévoit qu'ils peuvent être présents dans de telles circonstances. La technologie, par exemple celle des détecteurs de mensonge, n'est pas oubliée.

Confiance? Pour les auteurs, celle-ci est indispensable à tous les niveaux. Les auteurs rappellent que le plus souvent, les gens qui commettent un acte délictueux ont des remords, de par leur éducation, mais aussi des craintes qui les retiennent d'avouer: les avis de tiers, le poids des leçons de morale, et bien entendu la peur de la peine. Les auteurs développent dès lors tout un art de créer une confiance qui favorise la parole et libère. Des aveux? Pas nécessairement: les auteurs relativisent l'importance qu'on leur donne (ils sont un élément parmi d'autres dans une enquête) et privilégient des voies qui permettent de faire parler les acteurs en toute confiance. Quitte à user de stratagèmes et à exploiter à son profit la psychologie humaine: la police n'est pas bête non plus!

Vérifier les alibis, constater les mensonges: lorsqu'ils abordent des éléments plus techniques, les auteurs mettent volontiers les comportements humains en avant, mettant des mots sur ces impressions que nous avons tous lorsqu'on se demande si notre interlocuteur est sincère. Ils insistent aussi sur l'attitude de l'enquêteur, chargé de mener l'interrogatoire, qui doit constamment conserver une neutralité ferme et distante: pas de triomphalisme au moment où la personne interrogée lâche l'information recherchée, pas d'effet tunnel dû à un interrogatoire excessivement dirigé par des questions orientées. L'art de questionner, justement, est détaillé dans "Les secrets des interrogatoires et des auditions de police", avec la forme des questions et l'art de les amener, d'abord pour mettre à l'aise puis pour "travailler" la personne interrogée. Et entre deux, les auteurs glissent volontiers quelques trucs de métier, par exemple lorsque, lors d'un interrogatoire mené à deux, il faut communiquer discrètement entre policiers.

Un chapitre est consacré aux malades et aux personnalités difficiles, ainsi qu'à leur évaluation psychologique. C'est une typologie intéressante des personnes peu évidentes à gérer qui peuvent se trouver face à un enquêteur pour répondre à quelques questions. Les auteurs donnent des pistes pour faire face à des psychopathes bien sûr, mais aussi à des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, à des érotomanes (syndrome de Clérambault), à des personnalités narcissiques, évitantes ou passives-agressives, pour n'en citer que quelques types.

Ces pistes sont présentées dans une typographie spécifique, dans une volonté de la part des auteurs de les mettre en exergue. Ils font pareil pour les nombreux exemples qui illustrent leur propos. Ce peuvent être des exemples didactiques imaginés pour illustrer, par exemple, le déroulement d'un interrogatoire selon qu'on pose des questions fermées ou ouvertes, plus aptes à laisser parler la personne interrogée – tout en sachant que les questions fermées ont aussi leurs atouts. Ce peuvent aussi être des exemples vécus, anonymisés bien entendu, et issus d'une pratique éloignée des affaires médiatiques, montrant entre autres comment on arrive à faire "cracher le morceau" à une personne.

Les ressorts psychologiques sont au cœur du traité "Les secrets des interrogatoires et des auditions de police". Le chapitre consacré à "l'audience cognitive" est construit comme une étude de cas, particulière puisqu'il n'est plus question d'interroger les suspects, mais plutôt les victimes ou les témoins: objectifs, manière d'interroger, de mettre à l'aise un témoin – sans oublier les enfants. Et c'est toujours sous un angle psychologique que les auteurs terminent, en observant la question de la gestion des silences.

Fine et aboutie, solidement documentée, s'efforçant avec succès d'étudier tous les aspects des échanges interpersonnels entre la police et les citoyens, "Les secrets des interrogatoires et des auditions de police" s'avère être une somme sur le sujet. Les auteurs savent cependant structurer leur propos, sans se perdre dans d'inutiles détails qui pourraient faire à eux seuls d'autres études. Profane ou professionnel de la police, le lecteur sortira de sa lecture en ayant l'impression d'avoir appris quelque chose. Et s'il est lecteur de polars ou écrivain, gageons que celui qui se plonge dans l'ouvrage d'Olivier Guéniat et Fabio Benoit ne lira ni n'écrira plus ses romans policiers de la même façon. Et quant à ceux qui ont quelque chose à se reprocher, ils ne trouveront dans ce livre aucune recette pour se débiner: "Ils conviendront que les enquêteurs seront toujours là face à eux et constateront finalement qu'ils n'auront en définitive pas d'autre choix que de faire face à leurs propres responsabilités", prévient l'introduction.

Olivier Guéniat, Fabio Benoit, Les secrets des interrogatoires et des auditions de police, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2012/2013.

2 commentaires:

  1. Tiens... voilà qui pourrait bien me plaire, je note ! :)
    Bonne journée ! à bientôt

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    1. En effet, c'est très intéressant et instructif. Je t'en souhaite une excellente découverte!
      Bonne fin de journée à toi et à bientôt.

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