Mélanie Chappuis – Entre théâtre et monologue: c'est là que se situe le dernier livre de l'auteure suisse Mélanie Chappuis. Intitulé "Exils", il regroupe deux ensembles de textes, l'un sur le thème de la migration, "Exils", l'autre sur le thème de la passion amoureuse au féminin, "Femmes amoureuses". Si certains des monologues qui composent les deux versants de ce recueil ont paru dans diverses publications antérieures, c'est au théâtre qu'ils ont été vraiment créés, dans le canton de Genève.
"Exils", premier ensemble de textes du livre, se caractérise par une écriture sobre qui n'a cependant jamais peur de dire les choses. Chaque monologue incarne, en quelques dizaines de lignes, des personnages ayant un passé, un présent ou une généalogie conditionnée par la migration. Le lecteur passe ainsi d'un portrait à l'autre, d'une histoire à l'autre aussi: un grand nombre de vécus possibles, qu'on lit à suivre, rapidement – la scène théâtrale, plus lente, laisse sans doute plus de temps au spectateur pour passer d'un personnage à l'autre.
Dans "Exils", la migration est souvent forcée, ou une donnée non choisie avec laquelle il faut composer. Le thème du déracinement en découle forcément, et l'image de l'arbre (séquences XII et XIII) apparaît évidente. Il est aussi question d'un hypothétique retour, mais aussi des tentatives désespérées de se rattacher à un pays supposé d'origine qui a laissé ses traces dans tel ou tel personnage qui n'y a cependant jamais vécu. La cuisine peut dès lors s'avérer un pont, par exemple la cuisine vietnamienne évoquée à la séquence III, qui s'achève sur une invite, un mot d'ouverture: "Je vous ferais goûter un jour, si vous le désirez."
Les voix varient, les situations aussi. Elles indiquent que les couleurs de peau n'ont pas forcément grand-chose à voir avec les origines: par exemple, qui est le plus Ivoirien dans la séquence IX, du chauffeur de taxi noir natif de Rambouillet qui ne connaît rien de l'Afrique, ou de la cliente blanche née à Abidjan? C'est pourtant sur un final coloré et lumineux qu'"Exils" s'achève, avec la belle image des citrons (XVI).
Le ton de "Femmes amoureuses" penche nettement vers la poésie, envoûtante à force de jouer sur les jeux de sonorités et de voix dès le premier chapitre: le travail de l'auteure se fait alors musical. Le lecteur comprend cependant, au fil des séquences qui sont la recréation d'autant de moments amoureux, que chacune porte une voix de femme distincte, avec ses sensations, ses sentiments qui viennent des tripes.
La jalousie est ainsi un ressort puissant ("Arrête de la regarder mon amour...", X), de même que la description des affres de l'absence, voire de la rupture. L'amour passion tutoie; dès lors, les "tu" qui émaillent les séquences ne peuvent qu'interpeller directement le lecteur et lui rappeler qu'en amour, on est deux – quitte à accuser ("Tu avais dit que tu m'aimerais toujours.", XXII). Et pour être encore plus forte, l'écriture travaille le rythme en phrases haletantes comme des battements de cœur trop rapides, ponctuées en structures courtes. Ce rythme, c'est aussi l'audace de passer d'une musique à l'autre à chaque texte, fulgurante comme l'éclair ou lente comme un fleuve.
Alors oui, l'amour caresse, comme dans la séquence XXIII, qui revêt la fugacité d'un haïku, forte comme le brûlé d'une caresse. Il peut être la promesse d'un enfant. Il fait mal aussi. Et l'auteure conclut en une dernière séquence, poème libre qui suggère une seule envie, évoquée avec cette image mille fois dite: "Reprendre l'amour,/Garder les papillons dans le ventre". Recommencer encore: la boucle est bouclée.
Ainsi, entre "Exils" et "Femmes amoureuses", s'exposent, contrastées mais sonnant et frappant toujours juste, deux facettes du talent de l'écrivaine Mélanie Chappuis.
Mélanie Chappuis, Exils, Lausanne, BSN Press, 2020.
Le site de Mélanie Chappuis, celui des éditions BSN Press.
Egalement lu par Francis Richard.
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