Guillaume Prévost – Nous sommes en mars 1920. La petite musique du communisme s'est installée en URSS, et elle résonne jusqu'à Paris, du côté de la rue Daru. C'est là que François-Claudius Simon, rescapé de la Grande Guerre et policier de son état, se retrouve face à quelques cadavres qui pourraient avoir quelque chose à voir avec la révolution de 1917. "La Berceuse de Staline" plonge dans cette époque, entre révolutionnaires exaltés et Russes blancs exilés. Sachant qu'il y a des traîtres, comme il se doit dans tout bon roman policier mâtiné d'accents d'espionnage, et aussi une histoire d'amour passionnée qui a ses propres obstacles.
Côté légal, bien sûr, l'enquête va rapprocher François-Claudius Simon de Lénine, qui dirige alors la Russie, qui n'est pas encore l'URSS et que l'auteur montre comme un pays en train de se construire à neuf, avec ses parts sombres et ses exaltations. Mais revenons à l'intrigue: voilà qu'un homicide à Paris soulève une affaire qui met en cause l'Okhrana, soit les anciens services secrets du tsar déchu, et la Tchéka, leur homologue à la sauce Lénine. A Paris, une famille est assassinée, et très vite, tout se focalise autour d'un dossier compromettant: il recèle les noms d'agents doubles, ayant donné leur parole au régime tsariste tout en ayant fait allégeance aux communistes. Et dans le tas, il y a, devinez... un certain Staline.
Le titre du roman fait référence à une berceuse comme il y en a beaucoup en Russie, apparemment anodine, mais que le futur Petit Père des peuples a utilisée, transcrite sur un papier dûment conservé, pour faire passer un message à l'ennemi. Désireux de faire carrière, on comprend que Staline ait envie de faire disparaître cette trace compromettante. Quitte à tenter d'éliminer également l'enquêteur français, pris entre deux feux. D'escarmouches en bagarres, roulette russe incluse, François-Claudius Simon marche sur la corde raide, sachant qu'il a aussi des affaires personnelles à régler du côté de Moscou, où il est envoyé par le gouvernement français.
C'est que François-Claudius Simon est amoureux d'Elsa, qui est partie en Russie pour rallier la révolution en étant enceinte de l'homme de police. A travers Elsa, l'auteur dessine avec adresse certains milieux moscovites: le monde des musées, puisqu'Elsa est chargée d'en concevoir un, et celui des Français de sensibilité anarchiste (d'ailleurs, François-Claudius Simon porte le même prénom que Ravachol...), réunis plus ou moins régulièrement dans un logement qui est aussi un point de ralliement. L'auteur fait vivre ici quelques personnages historiques tels que le Belge Victor Serge, écrivain et essayiste. Quant aux décors, entre Petrograd et Moscou, l'auteur les dessine sans omettre leur part d'ombre, mettant par exemple en scène des bandes d'enfants qui font leur propre loi.
Enfin, l'auteur est habile: s'il parle tout le temps de Staline, ce n'est que vers la fin du roman qu'il le fait entrer en scène. Patience! Echo d'un choc imaginé entre les Russes blancs et les révolutionnaires, "La Berceuse de Staline" apparaît dès lors comme un polar historique réaliste. On le découvre teinté d'ambiances à la russe façon faucille et marteau, documenté sur la base d'une série d'articles parus en 1956 dans "Life" révélant le côté traître de Staline – un trait de caractère méconnu que le lecteur perçoit au fil des pages du roman, l'auteur ayant choisi d'en faire le moteur du personnage. Ce livre à la musique fluide et accrocheuse s'intègre dans toute une série de romans mettant en scène François-Claudius Simon, ouverte avec "La Valse des gueules cassées".
Guillaume Prévost, La Berceuse de Staline, Paris, NiL, 2014.
Le site des éditions NiL.
Lu par Jack Sparks, Jimpee, Marie-Christine Maneval, Millina, Serge Perraud, Sharon, Stemilou.
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