Jean-Michel Maulpoix – Le deuil est un thème classique en poésie et en littérature, et plus d'un écrivain s'y est frotté. Les lecteurs de ce blog se souviennent du récent recueil de poésies "Frère d'âme" de Catherine Gaillard-Sarron. Et voilà que me parvient "Le jour venu", recueil de proses poétiques où Jean-Michel Maulpoix évoque la mort de son père et la phase de deuil qui a suivi. "Le jour venu" fait suite à "L'hirondelle rouge", son précédent recueil, et le prolonge.
Tout commence par une question qui est comme une révolte: "Cela pourrait-il avoir lieu sans douleur, comme on s'endort dans un fauteuil face à un paysage, tandis que décline la lumière du soir, au bout d'une insidieuse fatigue ayant fait dans le corps tout le chemin?". Cette première phrase porte quelques éléments qui reviendront dans le recueil, à commencer par ce fauteuil qu'on reconnaît dans la toute dernière prose poétique du recueil, avec même une couverture qui apparaît aussi tout au début. L'auteur boucle ainsi la boucle, suggérant que le deuil est un cycle.
Dès les premières pages, on relève avec bonheur le sens de l'image de l'auteur, décrivant le grand âge en rapprochant la peau des vieillards aux rides d'une pomme. Le deuil, c'est aussi l'occasion de se souvenir du père défunt, mais aussi d'observer les autres aînés, au supermarché par exemple, et d'y retrouver celui qui est parti. Le deuil obsède, révolte, on parle d'enfers, l'auteur place des points d'interrogation et des points d'exclamation partout en ce début de livre.
Mais la boîte en bois de la deuxième partie, est-elle un cercueil, ou rien d'autre qu'un écrin pour les souvenirs? Un peu des deux. Et l'auteur touche au cœur en se montrant concret: "Mais il n'aurait alors pas été possible de dénouer le ruban rouge et de rouvrir la boîte, de chercher leur image dans l'odeur de lavande, parmi d'autres images de leur couple ou de leurs enfants, de leurs différents âges, des Noëls, des œufs de Pâques et des anniversaires, de retrouver les bons sourires avec toutes leurs dents, le tailleur, le gilet, le lézard d'argent, la cravate en cuir d'Espagne ou la pipe en écume à tête de lion..." – un point de suspension pour dire qu'on en oublie. La bière se ferme sur la boîte des souvenirs.
Et en page 23, l'auteur cite Baudelaire. Une petite graine pour indiquer la fin du cycle poétique proposé par l'écrivain, qui suggère que la poésie aide à surmonter l'épreuve du deuil. C'est dans la partie "Les ruses du désir" que l'on bascule: l'auteur n'hésite pas à interpeller son lecteur, à glisser des incises frappantes en fin de proses ("Triste comme un collectionneur de timbres."), à questionner l'envie de vivre. Ici viennent les mots, la langue, pensés comme un moyen possible de surmonter le deuil. On trouve Rimbaud plus tard, et Mallarmé, que l'auteur cite: "je fais chaque matin la toilette des fleurs avant la mienne.", confirmant le thème montant des fleurs dans son recueil, rappelant quelque chose de beau dont il faut être reconnaissant – installé dans le cadre vaste de la nature.
"Permettez-moi, je vous en prie, de prendre une dernière photographie...": la première phrase de la prose poétique qui conclut le recueil confirme une dernière fois que "Le jour venu" est un dense recueil d'instantanés autour du deuil de l'être cher, du père. Des instantanés d'une page chacun, aux points de vue variés, tantôt introspection, tantôt dialogue imaginaire, tantôt interpellation et questionnement lancinant, sur la base d'images simples et familières qui résonnent chez le lecteur.
Jean-Michel Maulpoix, Le jour venu, Paris, Mercure de France, 2020.
Le site de Jean-Michel Maulpoix, celui des éditions Mercure de France.
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