Thibaut de Saint Pol – "A mon cœur défendant" est un livre polyphonique qui plonge dans les affres de la Seconde guerre mondiale et résonne jusqu'aux années 2009. Troisième roman de Thibaut de Saint-Pol, il se fonde habilement sur une particularité historique: la disparition de l'original du traité de Versailles, ce document qui a mis l'Allemagne à genoux au terme de la Première guerre mondiale. Cette disparition semble mystérieuse à nos yeux, aujourd'hui encore; c'est dans cette brèche que l'imaginaire du romancier s'est engouffré.
Rien de tel qu'un soupçon de personnification pour lancer un roman. Ainsi, c'est avec le personnage de Madeleine que tout commence, cette secrétaire prise dans la tourmente qui a suivi la défaite de 1940: un haut fonctionnaire du Quai d'Orsay la prie d'emporter un paquet contenant le fameux traité de Versailles jusqu'en zone libre. Il ne faut pas qu'il tombe entre les mains d'Adolf Hitler, qui se ferait un plaisir de le brûler pour affirmer symboliquement qu'il ne vaut plus rien.
Nolens volens, Madeleine accepte sa mission et se sent peu à peu investie d'une mission. Cette mission, c'est le fil rouge de "A mon cœur défendant": l'auteur excelle à mettre à l'épreuve la volonté de la jeune femme, et donc à faire évoluer sa vision sur le papier. Puisant dans le flot de péripéties possibles naissant d'un pays soudain désorganisé, l'auteur peut sans peine organiser un jeu d'obstacles sur fond d'inquiétude et de suspicion généralisées. Madeleine peut-elle se fier à ceux qui la véhiculent vers le sud de la ligne de démarcation? Qui est ce blond qui la sauve d'une rixe? Et pourquoi passe-t-elle plus d'un an en prison? Au fil des années de guerre, le regard de Madeleine sur sa mission change: ce bout de papier est-il si important? Cela, en regard d'un enfant juif dont elle a brièvement eu la charge et que, imprégnée de sa mission, elle a laissé aux griffes des nazis.
Les nazis? Parlons-en: ce sont certes de cruels vainqueurs, mais ce sont aussi des êtres humains, motivés par des pulsions humaines: ils sont plusieurs, un militaire prénommé Heinrich et un SS en tout cas, à courir après le précieux traité. Complaire au Führer est certes important; cela dit, le militaire le fait aussi par esprit classique de revanche et par loyauté envers la traditionnelle Wehrmacht, défaite et humiliée en 1918; mais dégoûté par les méthodes inutilement violentes de son rival SS, il va s'interroger sur l'intérêt de cette course au document. En donnant à lire des extraits du journal de Heinrich, l'auteur plonge le lecteur dans l'intimité de ce personnage, militaire à la solde du régime que l'on sait, mais aussi père de famille aimant son fils même s'il ne le voit guère.
Et puisqu'il faut faire le pont jusqu'à notre siècle, c'est le petit-fils de Heinrich, Théo, professeur d'histoire en Allemagne (il a sa propre vision du passé, bien ébauchée sur le ton de l'introspection), que l'on va voir mener l'enquête jusque dans le sud de la France – justement auprès de Madeleine devenue âgée. Les derniers secrets trouvent là leur aveu – et sauront surprendre le lecteur sans casser la vérité historique, dont l'auteur respecte la ligne. "A mon cœur défendant" apparaît dès lors comme un roman bien ficelé quoiqu'un peu trop rapide parfois (tant de choses sur 205 pages, y compris une intrigue amoureuse!), où les zones d'ombre de l'histoire sont éclairées de manière crédible par la fiction et l'imaginaire du romancier.
Thibaut de Saint Pol, A mon cœur défendant, Paris, Plon, 2010.
Lu par Cryssilda, Magali Conéjéro, Maggie.
Le site des éditions Plon.
Ça pourrait bien me plaire, ça a l'air intéressant.
RépondreSupprimerJe prends note et te remercie pour la découverte.
Bonne journée !
Je t'en prie - et je te souhaite une bonne découverte de ce roman!
SupprimerBonne journée à toi!