mardi 18 février 2020

Christine Angot sur le parvis de la cathédrale de Strasbourg

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Arnaud Modat – "La démence sera mon dernier slow" n'est ni le dernier livre que je lirai d'Arnaud Modat, ni son premier texte: nous nous sommes côtoyés sur des forums d'écriture il y a quelques années, ce qui m'a permis de constater que le bonhomme a une voix. Les amateurs de recueils de nouvelles complètement décalés goûteront, de lui, "La Fée Amphète", chez Quadrature à Louvain, et "Arrêt non demandé", chez Alma à Paris. Il y a toujours quelque chose de personnel dans les textes de cet écrivain bien calé dans le genre de la nouvelle, si ravagés qu'ils soient; et "La démence sera mon dernier slow" ne fait pas exception à la règle.


Il est permis de penser qu'Arnaud Modat écrit comme un fou, comme un malade en d'autres mots. Malade? C'est une constante du recueil "La démence sera mon dernier slow". L'auteur propose là des nouvelles liées par une constante, celle de la maladie, vécue ou reconnue. Le narrateur est en effet un adolescent ou un jeune adulte, asthmatique, en rupture avec ses parents et vivant difficilement sa relation avec son petit frère, courageux aussi puisque dès la première nouvelle, il vient au secours d'une jeune femme épileptique qui fait sa crise sur le parvis de la cathédrale de Strasbourg. Le "je" se pointe aussi sur un fauteuil roulant dans "Death on two legs", qui interroge l'état du paraplégique.

Reste que tout ne fonctionnerait pas à la perfection sans un soupçon de folie. Il y a la folie des images bien sûr, par exemple avec ce narrateur qui se présente comme un asthmatique et considère sa poitrine comme un camion défoncé: belle image pour dire tout le malaise de cette adolescence vécue au masculin et où l'on s'interroge sur son physique, mine de rien. Il y a la folie des situations aussi, par exemple lorsque, en fin de recueil, Christine Angot débarque alors que l'on est sur le point d'exécuter le narrateur en plein Strasbourg, après lui avoir servi un verre sur une table spécialement apprêtée... scène surréaliste s'il en est!

"La démence sera mon dernier slow" est traversé par quelques interludes dialogués portés par un sens consommé du non-sens. On se souvient en particulier du rançonneur qui téléphone avec un mari dont il a kidnappé la femme et coupé un orteil. Problème: le mari n'en a rien à fiche... Le deuxième interlude n'est rien d'autre que la recréation de quelques amabilités familiales à l'heure du repas, reconstituées sur le mode bien cinglant: tant qu'à faire d'écrire en dialogues pour recréer un théâtre domestique, l'auteur a compris qu'il faut que les répliques claquent à fond.

L'écrivain a le chic pour créer, dans ses nouvelles, des ambiances de malade, improbables, nourries par un jeu barjot d'associations libres – qui permet entre autres à Linda de Souza de s'inviter au détour d'une page. Barjot, l'auteur l'est aussi lorsqu'il s'agit de nommer un enfant (Masturbin et non pas Mathurin, mouarf!) et de lui inventer une éducation. Et on l'a compris: lorsqu'on parle d'ambiance de malade, c'est aussi parce que plus d'un personnage est malade dans "La démence sera mon dernier slow". Et l'auteur se permet d'en rire, sur le mode de l'humour noir bien tassé.

Tout s'achève par la mort du narrateur par balles, dans une reconstruction grand-guignolesque qui incite le lecteur à penser aux attentats de Strasbourg – c'était en 2018 – et à d'autres! Mettant en scène un jeune livreur qui boit un verre puis se voit condamné à mort par balles, "Continuer ou non à se laver les dents" suggère qu'en France, pour une raison ou pour une autre, on peut mourir pour une crevaison à vélo (ô le symbole bobo!) et/ou une consommation prise "en terrasse". Comme d'autres avant lui, du côté du Bataclan et du boulevard Voltaire.

Léger, "La démence sera mon dernier slow"? Oui, pour le lecteur inattentif, bêtement festif. Mais par sa pratique de l'humour noir, par la mise en scène de personnages qui encaissent leur vie de famille ou leur quotidien gris, et aussi par des répliques et sorties qui claquent et résonnent avec l'actualité, l'écrivain suscite un rire difficile, naissant de ces ressentis complexes qu'il fait naître: telle est, comme qui dirait, la politesse du désespoir. "Ce sera sans doute un peu sale mais ça ne sera pas du tout triste", s'exclame le livre en couverture. Ben c'est vrai.

Arnaud Modat, La démence sera mon dernier slow, Paris, Paul & Mike, 2020.

Le site des éditions Paul & Mike.

4 commentaires:

  1. Je ne connais pas du tout cet auteur mais ce que tu en dis à son sujet donne envie de le découvrir... après, je ne sais pas si je commencerai par ce livre qui a l'air étrange mais qui intrigue à en lire ta chronique.
    Merci pour la découverte ! bon après-midi

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    1. Cet auteur a généralement des écrits assez "ravagés", en effet, dans des ambiances survoltées. Je t'en souhaite cependant une bonne lecture si tu t'y plonges! :-)

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