samedi 6 juillet 2019

La télé, quand on en meurt

echo
Ingrid Desjours – Ah, la télé! Plus d'un d'entre vous la regarde tous les jours, sans se demander forcément ce qu'il y a derrière les strass et les paillettes. "Echo", le premier roman d'Ingrid Desjours, revisite cet univers sur le mode policier, mettant en scène deux victimes: des frères jumeaux beaux, riches et célèbres qui font penser, dans une certaine mesure, aux frères Bogdanov. Cela, d'autant plus qu'ils passent à la télé, justement, et qu'ils sont fascinants.


Tout commence avec la citation d'un journal intime, qui narre de façon assez placide somme toute des choses terribles vécues en famille: il y a là de l'inceste, de la violence domestique, sur fond de père indigne et d'alcoolisme. Qui écrit, un garçon ou une fille? Si l'on s'abstrait des clichés de genre, impossible de savoir, ou presque: on met les erreurs d'accord éventuelles sur le dos de l'incapacité de la diariste à écrire juste. En effet, que penser d'une auteure qui, pour parler d'une personne qui a mis bas, écrit "a mi-bas"?

Ce journal intime constitue la musique de fond d'un roman qui met en scène l'assassinat de deux animateurs de télévision particulièrement détestables, et qui ont donc un grand nombre d'ennemis. On imagine des personnages politiques véreux, mais c'est autour d'un écrivain plagiaire que l'une des pistes se dessine. Et si ce n'est pas lui, c'est son agent artistique... L'auteure, en tout cas, prend soin de montrer en action les frères jumeaux, Klaus et Lukas Vaillant, et même de les associer en faisant de leurs (faux) prénoms de parfaites anagrammes.

Les noms? Voilà l'une des astuces les plus marquantes de "Echo". L'auteure, bien évidemment, ne manque pas de jouer sur le patronyme "Vaillant", quitte à rappeler que les victimes, ainsi nommées, ne sont plus guère vaillantes. Et qui mène l'enquête? Rien de moins qu'une jeune femme nommée Garance Hermosa. La romancière souligne en rouge vif les qualités de cette psychologue, qui enquête à titre officieux: elle est jolie (hermosa, en espagnol), et apprécie la couleur rouge, synonyme de passion. Nous avons donc affaire à une Garance obsédée par son apparence physique et en particulier par son poids, mais qui sait aussi jouer de ses charmes.

Du coup, baladé entre quelques mythes grecs bien placés, en particulier celui de la nymphe Echo bien sûr, revisité en détail, le lecteur va être emmené dans une enquête qui donne la priorité aux relations sentimentales qui ne manquent pas de s'installer entre Garance et Patrik, qui est, lui, un policier assermenté. Les jeux de séduction entre eux sont délicieux et constituent un contrepoint parfait à l'avancée de l'enquête. Mais qui décrochera le pompon, en définitive? Face à des victimes qui sont des Narcisses, vont-ils se trouver?

Mené par Garance, un personnage féminin apparemment libre mais dominé par la psychologie pour ce qui est de son fonctionnement, "Echo" apparaît comme un roman policier psychologique, avant tout. De ce point de vue, c'est réussi: l'enquête avance au gré de la psyché des personnages, une psyché qui dessine peu à peu les contours du coupable et permet d'y arriver enfin, une fois les fausses pistes écartées. Il est permis de trouver quelque peu paradoxal le personnage de Garance, présentée comme une psychologue mais singulièrement peu habile lorsqu'il est question d'interroger des suspects ou de faire la cour. Mais c'est un être humain, après tout, qui a le droit de se planter!

"Echo" est donc un solide roman policier fondé sur une brochette de personnages pervers ou torturés, porté par la fascination qu'exercent souvent les jumeaux. Il donne à voir les coulisses pas forcément amènes de la télévision, explore mine de rien les frontières des genres – on pense en particulier au personnage de Dany, agente artistique, qui se présente comme une femme mais pourrait parfaitement être trans. La romancière étend ainsi le champ des possibles, pour arriver enfin à faire connaître la personne coupable. Une personne qu'on voit un tout petit peu venir: il suffit de lire attentivement le journal intime, écrit – c'est une piste, allez, mais je ne vous ai rien dit! – par une personne frappée de gynécomastie...

Ingrid Desjours, Echo, Paris, Plon/Pocket, 2009.

Le site des éditions Pocket, celui des éditions Plon.

2 commentaires:

  1. Réponses
    1. Un roman épatant, en effet! Avec un point de vue psychologique original, et plein de personnages hauts en couleur.

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