Carole Dubuis – Une pièce de théâtre aux ambiances fantastiques qui s'inscrit aux frontières de la vie et de la mort, une deuxième qui dissèque le langage pour dire l'incommunicabilité: voilà ce que propose "Une ombre au tableau, suivi de Ecoute". Un livre qui réunit deux pièces de théâtre de Carole Dubuis.
C'est un petit monde où l'on se toise: "Une ombre au tableau" plonge le lecteur, ou le spectateur, du côté de la restauration d'art à Florence. Un tableau énigmatique de l'artiste Brunetti constitue le leitmotiv de cette pièce: alors qu'il y a trois personnages sur le tableau, les acteurs s'interrogent sur la quatrième ombre qui apparaît sur le tableau. Pour créer une tension, la dramaturge rapproche le point de vue strictement cartésien d'un personnage, Diane, au biais téléologique qui affecte Jean: il veut voir un sens, fût-il métaphysique, à tout ce qui se présente à lui dans la pièce.
Mais il n'y a pas que cela: il y a aussi la force des sentiments... qui peuvent être portés par un personnage extérieur au couple impossible. Ce grain de sable, c'est le jeune Marco qui l'introduit, instillant de la jalousie dans le propos. Est-ce lui, l'ombre au tableau, l'homme en trop de cette pièce à quatre personnages? Le stagiaire, introduit dans le contexte de la restauration d'art, peut-il séduire sa maîtresse de stage?
Et après tout, les personnages mis en scène, placés face à la restauration d'une œuvre d'art qui leur ressemble étrangement, sont-ils encore vivants? La vérité se dévoile peu à peu... et l'ancrage dans le réel reste assuré par le rôle de la concierge, mère de Marco, dont le téléphone sonne régulièrement, instillant sa musique: il y a eu un accident mortel qui, on le comprend peu à peu, a eu un impact existentiel sur chacun des personnages de la pièce.
Il est aussi permis de dissocier les personnages de cette pièce entre ceux qui portent un prénom français (Jean et Claire), restaurateurs d'art sûrs de leur métier mais clairement horsains, et ceux qui portent un prénom italien (Vittoria et Marco), porteurs d'art concret et d'un certain pragmatisme: Vittoria, organiste liturgique, recrée l'art au quotidien alors que les restaurateurs s'en avèrent incapables malgré des défis bravaches, et son fils Marco, a au moins pour lui l'audace sincère, fût-elle sentimentale.
En deuxième partie de recueil, la pièce "Ecoute" apparaît plus technique, plus tournée vers le langage lui-même que vers l'intrigue massive: avec Raphaël Aubert, préfacier, on pense à Nathalie Sarraute. A la lecture, cette pièce au titre antiphrastique (ils sont cinq à parler, mais personne ne paraît écouter, peut-on se comprendre?) joue le jeu des reformulations et écholalies, maniées par des personnages qui se parlent sans se comprendre, n'osent pas se dire les choses. Et c'est là le cœur de cette pièce: chacun des personnages exige des autres qu'il l'écoute, considérant qu'il n'est pas compris. Le jeu des amours et affinités électives, entre autres, trouve bonne place dans ce contexte: on aura donc un personnage, Paul, qui n'ose pas se déclarer, ou Arthur, qui n'ose pas dire à Claire que ses tableaux ne lui plaisent pas.
Ces tableaux hantent "Ecoute" et constituent le contrepoint visuel à l'incompréhension verbale: qu'advient-il des marguerites peintes par Claire et qu'on cache? Il est à relever que le personnage de Claire va évoluer pour ce qui concerne sa pratique artistique, allant jusqu'à ôter sa propre toile, remettant ainsi en question sa manière de peindre, d'être. De même que les autres personnages, moyennant un soupçon de communication en plus. Mais cela suffira-t-il? La pièce laisse chacune et chacun sur une solution apparemment satisfaisante. Vraiment? "Chut!", conclut la pièce.
Reste que les répliques, travaillées, claquent dans les deux pièces! L'écriture est résolument actuelle, faisant résonner certaines sorties comme des coups de fouet. Elle s'avère cependant révélatrice, poussant – surtout dans "Ecoute", pièce technique portée par un rythme particulièrement rapide qui va à l'essentiel – les personnages à se montrer sous leur jour le plus authentique. Quitte à ce que cela leur coûte.
Carole Dubuis, Une ombre au tableau, suivi de Ecoute, Montreux, Romann, 2019. Préface de Raphaël Aubert.
Le site de Carole Dubuis, celui des éditions Romann.
Lu par Francis Richard.
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