Catherine Quilliet – Des extraterrestres au Tadjikistan, dans le massif montagneux du Pamir, est-ce possible? Il faut croire que oui, puisque la romancière Catherine Quilliet en parle dans "Sur la gauche avant la Chine". Dans son deuxième roman, elle leur donne même un nom, improbable donc parfait: les doméglis. Vu comme ça, ça a tout l'air d'un scénario de science-fiction impossible. Mais voyons cela de plus près...
Tout commence à Paris – comme dans toute littérature française qui se respecte, veut-on ajouter non sans ironie. Mais ce Paris assume un flou quant à la localisation: ainsi, c'est au Cap Horn, un bar dans le Marais (qui existe bel et bien), loin de l'Amérique du Sud, que l'intrigue se noue. Ce n'est qu'un début, balisé cependant: la géographie de l'intrigue va conduire le lecteur en Allemagne et même au Tadjikistan. L'évasion est garantie, voyage vers le flou en sus. Cela, d'autant plus que l'auteure ne manque pas de suggérer que personne, dans le lectorat francophone d'Europe occidentale, ne sait où est le Tadjikistan, ni le Pamir. L'écrivaine va jusqu'à l'illustrer en introduisant, ressort original et important s'il en est, un micro-trottoir astucieux dans son intrigue.
Ce trouble géographique fait écho au flou des origines du personnage de Théo. Théo, alias Théodora: cela, pour couper court sans traîner à ceux qui croient que Théo, c'est un mec. Vite dissipé, le trouble du prénom cache celui des origines, autrement plus profond puisqu'il est le véritable moteur de "Sur la gauche avant la Chine". S'ouvre alors le jeu du secret de famille, classique, que la romancière dévoile peu à peu dans une intrigue à double, voire à triple fond.
Arrivée au Tadjikistan sur la base d'informations sérieuses, en effet, Théo, la narratrice, retrouve la trace de sa mère. Elle y trouve aussi, et ça fait drôle, un certain nombre de personnes qui semblent plus au courant qu'elle de qui est Eva. L'auteure excelle à lâcher peu à peu des informations et coups de théâtre qui ont de quoi faire tomber Théo de l'armoire. Le parcours s'avère sinueux, complexe parfois, mais cohérent de bout en bout. En prime, la romancière va jusqu'à mettre son personnage principal dans une situation d'inceste improbable... et mobile au gré des informations recueillies.
Voyons le décor: se glissant parfaitement dans la peau de la narratrice, l'auteure lui donne une voix caustique, aux accents presque supérieurs, pour dire ce qui se passe sur le site où des scientifiques internationaux observent les doméglis sous l'égide des Nations Unies. Autant dire qu'elle s'en prend parfois plein la face! Ce regard permet en effet un grand écart entre la distance ironique et l'auto-critique vigoureuse. Les sentiments sont ainsi décrits à travers le regard d'un personnage qui se trompe parfois, ce qui ouvre la porte à plus d'un coup de théâtre. Et oblige en dernier ressort Théo à s'allier avec Etienne Duruel, chef de la sécurité du site, fanatique catho délirant genre Opus Dei, pro-life farouche (il l'est pour les animaux humains et non humains, et même pour les extraterrestres), pour libérer les doméglis.
C'est qu'au fil des pages, centré sur les méandres de la généalogie tordue de Théo (on s'y perd, c'est dire!), le lecteur oublie un peu ces extraterrestres qui fonctionnent à la manière d'insectes ou d'animaux, se reproduisent par mitose, et que les humains cherchent à comprendre. Ce sont presque des McGuffin! En fin de roman, pourtant, l'auteure y revient, décrivant les conditions de détention de ces extraterrestres, après avoir lâché de façon éparse des informations à leur sujet. En voyant ces bestioles taper les vitres des caissons dans lesquels elles sont enfermées, dans des conditions dont même une poule en batterie ne voudrait pas, le lecteur s'interroge sur l'accueil que l'humain fait à ce qui ne lui ressemble pas, à ce qu'il ne connaît pas. Empathique, il pourrait même s'émouvoir, à la suite de Théo: "Voilà ce qu'il advient au reste des courageux explorateurs interstellaires ayant décidé de visiter notre belle planète...", conclut amèrement la narratrice (p. 358). Il est permis de voir là une analogie avec des "extraterrestres" moins lointains, les migrants affluant en Europe depuis d'autres continents par exemple.
S'ils reviennent de façon affirmée en fin de roman, les doméglis, auxquels on s'attacherait, apparaissent surtout comme un prétexte. Prétexte à raconter, prétexte aussi à interroger le lecteur sur l'accueil en demi-teinte que l'humain réserve à ce qui n'est pas lui. Fait intéressant: le lecteur n'apprend pas comment les doméglis sont arrivés sur Terre. En ne donnant pas de réponse à cette question, l'auteure donne la mesure de l'hypocrisie humaine: tout le monde prétend avoir envie de savoir, mais en assignant les doméglis à des activités amusantes mais peu intéressantes, les scientifiques qui les accueillent semblent foncièrement ne pas avoir très envie de découvrir leur secret. Peut-être pour préserver la fiction de l'insurpassable supériorité de l'humain?
Catherine Quilliet, Sur la gauche avant la Chine, Paris, Paul & Mike, 2019.
Le site des éditions Paul & Mike, celui de Catherine Quilliet.
Le genre de bouquins que je lirais bien, tiens..; (et je sais où se situe ce pays, non mais!)(je suis allée au Kirghizistan voisin)
RépondreSupprimerAs-tu lu La guerre des salamandres?
Ah oui, c'est du bon!
SupprimerJe n'ai pas lu "La guerre des salamandres"... De quoi s'agit-il?
Wiki machin en fait des tartines, mais le bouquin se lit fort bien
Supprimerhttps://fr.wikipedia.org/wiki/La_Guerre_des_salamandres
Merci pour le tuyau! En effet, Wikipedia est prolixe à ce sujet.
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